jeudi 4 septembre 2014

Dans mes cartons (2)


Quand j’y repense, je comprends que le déjeuner pris au Plaza avec Scott et Zelda, à l’automne de 1922, marque le début d’une époque. Ce devait être en octobre car l’air était vif. C’est en octobre que l’on voit New-York sous son meilleur jour. Toutes les filles sont jolies dans leurs nouveaux  ensembles de demi-saison. La présentation des vitrines a quelque chose de nouveau. Le ciel est très bleu, les nuages très blancs. Les fenêtres des buildings étincellent au soleil. Tout est rutilant.
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J’avais le souffle court quand j’arrivai au Plaza. A l’intérieur, l’épaisse moquette était moelleuse sous le pied. Dans la boutique du fleuriste, les fleurs ressemblaient à des billets de dix dollars or….
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Si mes souvenirs sont fidèles, nous bûmes des Bronx, puis du champagne. Scott se fournissait chez de bons bootleggers. Au menu, il y avait quelque chose dans le genre de croquettes de langouste.
Et nous partîmes voir Ring Lardner. J’étais impatient de le rencontrer. Scott et moi étions tombés d’accord sur sa façon inimitable de manier l’américain courant. Les Lardner habitaient à Long Island. On nous fit passer dans une grande salle de séjour très sombre avec une cheminée de pierre. Un homme grand, blême, au nez fortement busqué, se tenait d’un air lugubre auprès de l’âtre, yeux noirs enfoncés, joues creuses ; il était fin saoul. Quand sa femme essaya de le faire parler, il fixa sur nous un regard vide. C’était, à proprement parler, un mort debout.
Nous bûmes à la hâte un  peu de son bourbon et reprîmes le chemin de la ville. Jamais je ne me suis senti plus déprimé. Scott répétait sans cesse que Ring était son ivrogne particulier ; tout le monde devrait avoir son ivrogne particulier.
John Dos Passos
Best Times (La Belle Vie) 1966
(Extraits)
Sur Ring Lardner, voir le post du 1 juin 2014
Sur Dos, Scott et Zelda cherchez...

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