vendredi 20 novembre 2015

Histoires par dessus




« On ne doit pas s’amuser beaucoup dans votre bled, dit Lulu Doumer.
-Oh pour être calme, c’est calme, dit Thérèse. T’as le cinéma le dimanche. Et si tu veux danser tu peux descendre jusqu’à Suresnes où l’on mange des moules et où les frites sont bonnes. Qu’est-ce que tu désires de plus ? Je sers une autre tournée ? »
Des Cigales hocha le chef, affirmativement. Thérèse emplit de nouveau les petits verres.
« T’as aussi le musée, continua-t-elle, à la Malmaison. C’est plein de souvenirs du temps de l’Empereur. C’est là qu’il a fourré sa Joséphine quand elle a commencé à lui casser les pieds. Il était plutôt vache le Poléon mais les hommes sont tous comme ça. Ils n’hésitent jamais à sacrifier une pauvre femme pour arriver aux honneurs. C’est pourquoi moi je te le dis, pour des filles comme nous, te fie jamais à un type qu’à de l’ambition, il te laissera toujours choir un jour ou l’autre.
-Je ne vois pas pourquoi je n’irai pas moi-z-aussi-z-aux-z-honneurs, dit Lulu Doumer.
-Il te laissera tomber que je te dis.
-Et pourquoi que je n’essaierais pas d’y aller toute seule ? Moi-z-aussi je veux-z- être riche et hhonorée. »
Des Cigales secouait sa cendre dans une assiette.
« Faut faire la pute alors. »
Raymond Queneau
Loin de Rueil (1944)


Métaphoriquement
Chez Queneau, les paragraphes s’enfilent comme les perles blanches des chapelets de nos grands-mères. L’elliptique a été prié de prendre la porte en refermant derrière lui. Quant aux adjectifs, ont leur a demandé de se presser un peu l’un contre l’autre, pour faire de la place aux autres locataires, en somme. Et puis, on a beau s’enfiler des perles et des perles, on finit toujours par se retrouver devant la grande pièce montée de la gare Saint-Lazare avec, face à vous, un benêt en pardessus.

Surprises
Quel bonheur de découvrir ces paragraphes qui s’enfilent comme des perles !
Où Diable est passé l’elliptique ! Mais qu’est-ce donc que ces drôles d’adjectifs ? Ah ! Voilà la gare Saint-Lazare et mon pote le benêt. Jamais vu un pardessus pareil.

Retrograde
Avec mon copain le benêt, devant la gare Saint-Lazare, nous ne parlons pas de son drôle de pardessus mais de paragraphes, d’adjectifs bizarres et puis de perles. Tiens, pourquoi des perles ?

Rêve
J’étais assis sur un nuage, dans un univers brumeux et nacré. Autour de moi, des paragraphes sérieux défilaient sans m’accorder le moindre regard. Des adjectifs pressés comme le lapin d’Alice, s’agrippaient l’un à l’autre. Et puis, subitement, une ombre imposante (en forme de pardessus gigantesque) fit la nuit au-dessus de mon nuage. C’est à ce moment-là que la sonnerie du téléphone me réveilla. C’était mon ami le benêt qui m’attendait devant la gare Saint-Lazare.

Hésitations
Je savais qu’il me parlait de perles, de paragraphes et d’adjectifs. Mais Pourquoi à moi, et devant la gare Saint-Lazare ? Etait-il mon ami ? Serais-ce le début d’une histoire ? Et ce pardessus étrange…


Moi je
Bon, c’est évident, Queneau est un grand écrivain. Mais, moi aussi je martyrise les paragraphes, la belle affaire ! Je suis aussi un grand ami des adjectifs surprenants. Moi, si un type vient m’importuner devant la gare Saint-Lazare je lui fait bouffer son pardessus. Et puis, d’abord, qu’est-ce que j’irais faire devant la gare Saint-Lazare ? Je vous le demande.

Comédie
                                                      Acte Premier
                                                          Scène 1
                                              Entre les paragraphes du bouquin de Raymond Queneau « Loin de                                                       Rueil », un jour, vers midi.

Un paragraphe : Laissez-passer, s’iou plaît ! Voyez pas que je suis pressé !

Le lecteur saute par-dessus le paragraphe dans une belle figure qu’il pense artistique.
                                                                
                                                              ACTE SECOND
                                                                    Scène 1
                                                                   Même décor
Deux adjectifs s’embrassent.
                                                               
                                                               ACTE TROISIEME
                                                                      Scène 1
                                                         Devant la Gare Saint-Lazare
Deux hommes se rencontrent.
Premier homme : Tiens, c’est toi ?
Deuxième homme : Oui.
Premier homme  (ouvrant de grands yeux étonnés) : Qu’est-ce que c’est que ce pardessus ?
Le deuxième homme hausse les épaules.
                                                                  
                                                                     EPILOGUE
                                                            Même décor. Quelques minutes plus tard.

Un écrivain croise les deux hommes.

L’écrivain : Tiens, tiens. Pas mal comme début d’histoire. Faut que je travaille là-dessus.

Julius-Marx
Dessin: Scavini  blog Stiff Collar

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