mercredi 23 mai 2018

La dernière séance




Les cinq autres patients qui avaient rendez-vous pour cette séance étaient retournés au lit, incapables de faire autre chose que de rester là à pleurer, ou bien, comme s'ils étaient sous le coup d'une urgence, ils s'étaient précipités sans rendez-vous au cabinet de leur médecin. Ils étaient dans la salle d'attente, se préparant à se lamenter à propos de la femme, du mari, de l'enfant, du patron, de la mère, du père, du petit ami, de la petite amie: bref, de la personne qu'ils ne voulaient plus jamais revoir, ou qu'ils accepteraient de revoir à condition que le médecin soit présent, et qu'il n'y ait ni cris, ni violence, ni menace de violence, ou encore de celle qui leur manquait terriblement et sans qui ils se sauraient vivre et qu'ils voulaient récupérer à tout prix. Chacun d'eux était là pour attendre son tour pour accuser un père ou une père, vilipender un frère ou une sœur , dénigrer un époux ou une épouse, pour plaider sa cause, s'autoflageller, ou s'apitoyer sur son sort. Un ou deux d'entre eux encore capables de se concentrer( ou de faire semblant) sur autre chose que la douleur de leur doléances feuilletaient, en attendant le médecin, un exemplaire de Time Magazine, ou de Sports Illustrated, ou prenaient le journal local et essayaient de faire les mots croisés. Tous les autres restaient assis là dans un silence lugubre, intérieurement  sous pression et se préparant à aborder, en puisant dans le vocabulaire de la psychologie de bazar ou de la presse à sensation la plus vulgaire, ou de la souffrance chrétienne, ou de la paranoïa, les thèmes ancestraux du répertoire dramatique: l'inceste, la trahison, l'injustice, la cruauté, la vengeance, la jalousie, les rivalités, le désir, le deuil, le déshonneur et la douleur.

Philip Roth
Le Rabaissement

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