lundi 15 octobre 2018

La règle du jeu



Il semblerait, tout bien considéré, que quand j'écris c'est surtout au temps lui-même que j'en veux, soit que j'essaie de rendre compte de ce qui se passe en moi dans le moment présent, soit que je ressuscite des souvenirs, soit que je m'évade dans un monde où le temps, comme l'espace, se dissout, soit que je veuille acquérir une sorte de fixité ( ou d'immortalité ) en sculptant ma statue (vrai travail de Sisyphe, toujours à recommencer). Qu'il soit celui de mon existence même ou celui du calendrier, qu'il soit fresque historique ou galerie de ma vie privée, c'est toujours avec lui que j'ai maille à partir, écrasé que je suis par la crainte de la mort, incapable également d'envisager le temps sous l'aspect bénéfique que lui concèdent, en dépit des ravages qu'il exerce sur eux aussi bien que sur tous, ceux qui croient que le monde est soumis à la loi du progrès, autrement dit qu'avec le temps il s'améliore.

Michel Leiris
La règle du jeu / fragments
Tome1- Biffures

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