L'odeur de la mer se mêlait au parfum dont Soad avait imprégné son corps frêle d'adolescente aux formes à peine nubiles. Elle se roulait sur le sable, s'amusant à narguer les étoiles par ses poses lascives.
A part les étoiles, personne ne pouvait la voir. Elle se trouvait sur la plage, à la lisière de la promenade déserte du casino, dans une zone ténébreuse à l'abri des lumières scintillantes du dancing en plein air.
La musique de danse arrivait jusqu'à elle dégagée de son rythme assourdissant, prenant une résonance fantomatique, aussi irréelle que sa propre présence sur ce coin abandonné de la plage. Elle s'immobilisa un instant, le visage crispé en une moue enfantine, puis elle cueillit une poignée de sable et la fit couler lentement sur son bas-ventre, éprouvant un plaisir voluptueux à sentir ce poids qui pesait de seconde en seconde plus lourdement sur elle, s'insinuait en elle comme une caresse profonde.
Plusieurs fois elle recommença ce manège, frémissante, au bord de l'extase, retenant le désir qui la submergeait. Soudain, elle s'arrêta, rejeta d'un mouvement souple des hanches le tas de sable qui maculait sa robe, et se retourna vers les lumières du dancing.
C'était un monde étrange et vaguement burlesque qu'elle entrevoyait au-delà de la promenade déserte, un monde tellement lointain qu'elle avait l'impression de se trouver à des milliers de kilomètres, regardant la scène d'une autre planète.
Albert Cossery
La violence et la dérision
Joëlle Losfeld
2000
En ces temps de Ramadan, je vous offre cet extrait d'un roman du magnifique Albert Cossery acheté ici, à Tunis, en 2008, en d'autres temps bien lointains.
Subversif, non?
Julius Marx
Image : Salvador DALI(jeune fille debout à la fenêtre-1925)