mardi 9 septembre 2014

Dans mes cartons (3)



La maison de Suddhoo, tout près de la porte de Taksali, a un étage, avec quatre fenêtres en vieux bois brun sculpté, et un toit plat. Vous pouvez la reconnaître à cinq annonces rouges imprimées à la main et disposées comme le cinq de carreau sur le badigeon, entre les fenêtres du haut.
Bhagwan-Dass l’épicier et un homme qui, dit-il, gagne sa vie à graver des cachets, habitent au rez-de-chaussée, avec leur bande d’épouses, de domestiques, d’amis et de familiers. Les deux chambres du haut étaient ordinairement occupées par Janoo et Azizun, ainsi que par un petit terrier noir et tan, qui avait été volé à un Anglais et donné à Janoo par un soldat. Aujourd’hui il ne reste plus que Janoo dans les chambres d’en haut. Suddhoo couche généralement  sur le toit, à moins qu’il ne dorme dans la rue, mais, dans la saison froide, il va d’habitude à Peshawar rendre visite à son fils qui vend des curiosités près de la porte d’Edwardes ; et alors il dort sous un vrai toit de terre.
Suddhoo est mon grand ami, parce que son cousin a un fils qui, grâce à ma recommandation, a obtenu un emploi de messager en chef dans une grosse maison de la localité. Suddhoo dit  que Dieu fera de moi un de ces jours, un lieutenant-gouverneur, et j’ose  croire que sa prédiction se réalisera.
Il est très, très vieux ; il a les cheveux blancs ; si peu de dents que ce n’est pas la peine d’en parler. Il a survécu à son intelligence ; il a survécu en somme à toutes ces choses, excepté à son affection pour son fils de Peshawar.
Janoo et Azizun sont des Kashmiriennes, honnêtes dames de la cité. Leur profession était fort ancienne, et plus ou moins honorable ; mais Azizun a depuis épousé un étudiant en médecine du Nord-Ouest. Elle s’est rangée et mène aujourd’hui une vie des plus convenables, quelques part aux environs de Bareilly.
Bhagwan-Dass est un usurier et un faussaire. Quant à l’homme qui prétend gagner sa vie à graver des cachets, il se donne pour très pauvre. Maintenant vous en savez autant qu’il est nécessaire sur les quatre principaux habitants de la maison de Suddhoo. Naturellement il y a encore moi, mais je ne joue que le rôle du chœur qui vient au dernier moment  donner l’explication des événements. De sorte que je ne compte pas.
Suddhoo n’était pas malin.
L’homme qui se donnait pour un graveur de cachets était le plus malin de tous ces gens-là -excepté Janoo. Quant à Bhagwan-Dass, il ne savait que mentir.
Janoo avait en outre la beauté, mais cela c’était son affaire.
Le fils que Suddhoo avait à Peshawar fut atteint de pleurésie, et le vieux Suddhoo conçut de l’inquiétude.
Le graveur de cachets apprit l’anxiété de Suddhoo, et se résolut de la monnayer. Il était en avance sur son temps. Il s’arrangea  avec un compère de Peshawar  pour se faire télégraphier jour par jour l’état de santé du fils.

Et c’est ici que l’histoire commence....
Rudyard Kipling
(Dans la maison de Suddhoo)
Simples contes des collines
Traduction Albert Savine
1934

1 commentaire:

  1. Comment tu vas? on te voit plus sur skype, c'est vraiment dommage, je pense.

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