dimanche 19 octobre 2014

Un char, de la brume, du quinoa et un commissariat de police





Pour nous rendre visite, il vous faudra obligatoirement emprunter une petite portion de l’autoroute qui relie Le Caire à Alexandrie. Si les guérites du péage (rassurez-vous, c’est une somme modique qui vous sera demandé) ne  sont qu’un simple assemblage de parpaings, soyez tranquilles et détendus, amis visiteurs, vous ne risquez absolument rien. Une fois la barrière franchie, vous apercevrez un joli char de couleur sable. Il est inutile, je pense, de vous recommander de ne pas agiter les bras dans tout les sens ni de klaxonner pour tenter de distraire le pilote.
Chaque matin, nous nous réveillons dans la brume. Je suis persuadé que les chauffeurs des camions et des nombreux engins, les ouvriers du chantier et les sentinelles de la résidence,  tous assis, tranquillement occupés à siroter leur thé, n’attendent qu’une seule chose pour se lancer dans la tourmente, qu’elle se dissipe. Ils ne patientent qu’une petite demi-heure, pas plus.
Comme dans beaucoup de grandes capitales du monde, les autochtones (du moins, ceux qui en ont les moyens) sont très friands de grands centres commerciaux. Dans cette ville gigantesque ils sont  évidemment à la mesure de leurs attentes. Celui que nous visitons ce soir-là  n’a pas moins de vingt-six entrées  réparties tout le long de ses grands murs d’enceinte ; une véritable forteresse de la consommation. Grâce au sympathique oncle Sam qui s’est occupé de tout, avec l’efficacité qu’on lui connait, le chaland peut déambuler entre les fast-food chics et branchés où l’on vous propose une  petite salade de quinoa à un prix si élevé qu’on ne peut s’empêcher, lorsque elle arrive sur votre table, d’établir le rapport entre le contenu de son assiette et le salaire moyen de la journée de travail d’un ouvrier. Une foule dense se presse pourtant dans les grandes allées, regardant les devantures des magasins avec des yeux émerveillés (sauf les aveugles, bien entendu.)
Entre les bassins aux charmants petits jets d’eaux, Je m’arrête devant un gros cube à trois faces qui m’intrigue. En s’approchant, on peut voir, sur la gauche, une sorte de cage. Sur le mur de droite, on a collé une grande toise et, au centre de ce qui doit être une pièce, posé un bureau  modèle réduit avec  deux  petits drapeaux égyptiens. S’étonnant de ma perplexité, mon ami ne peut s’empêcher de sourire.
-C’est pourtant simple. Regarde, me dit-il, là (montrant la cage) c’est la prison. De ce côté (montrant la toise) on fait défiler les suspects. Et le bureau, c’est celui du commissaire.
-Mais, à quoi ça sert ?
-C’est un décor, me répond-il en ouvrant de grands yeux. Les enfants se font photographier à l’intérieur.
Nous mettons très longtemps à retrouver la sortie.

Julius Marx
Photo : You only Live Once (Fritz Lang,1937)

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