mardi 16 février 2016

Belles lettres




Il y a chez le joyeux SS on ne sait quoi de pimpant et de militaire qui emporte l’amour des foules. Derrière lui, l’horizon s’embrase, l’herbe s’étiole, le négligeable Juif retourne à la poussière, et le bébé, matriculé sur le bras gauche, va rejoindre dans la chambre à gaz une mère enceinte inutile à l’« Europe ». Et c’est ainsi qu’il unifie le continent. Dans la fumée. Grand tableau historique. Le général Hausser en est tout attendri, tout glorieux. Il est temps, dit-il, de réhabiliter ce « pionnier de l’unification de l’Europe » ; de faire cesser de méprisable « calomnies » et de puériles « chicanes » qui retiennent encore en prison, « sous prétexte » de crimes de guerre, cet idéaliste délicat. Quand plaindra-t-on enfin le sort infortuné de la pauvre division Das Reich (celle d’Oradour !), que de perfides Bretons assaillirent au mépris des lois de la guerre ?...
Ca s’imprime tout cru en Allemagne, à Goettingen, chez M. Pless-Schüz, et ça s’appelle Les SS au travail.
Rendons justice à ces hussards des crématoires. Ils auraient fait l’unité de l’Europe si on pouvait rattraper la fumée.
Alexandre Vialatte
Chroniques de La Montagne
(21 avril 1953)

Je suis bien conscient qu’une ligne, même bien écrite, ne peut remplacer une bonne matraque. Mais, il me semble tout de même que nous manquons cruellement aujourd’hui de ce genre d’auteur, remplacés par des idiots-visuels ou des aveugles chroniques. 
Photo: Le To be or not to be de Lubitsch 

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