Il dressa la table sur la
véranda, sortit du frigo l’assiette contenant une grosse portion
de poulpe, la porta dehors, l’assaisonna d’huile et de citron. Il
acommença à manger avec une certaine satisfaction, savourant sa
vengeance de la frousse matutinale. La bête était très tendre.
Adelina l’avait cuite à point.
Tout à coup, il lui revint à
l’esprit un passage du livre d’un scientifique, spécialiste en
animaux et dénommé Alleva, qui disait que les poulpes étaient très
‘ntelligents. Un instant, il resta fourchette en l’air. Puis il
aréflechit que le destin des intelligents était toujours et en tous
les cas d’être mangés par des crétins plus fourbes qu’eux. Il
areconnut sans difficulté être un crétin et recommença à manger.
De toute manière, lourd à
digérer comme il l’était, le poulpe allait se venger en
l’empêchant de dormir. Un partout.
Andrea Camilleri
(Una voce di notte-Une voix
dans l’ombre)
Traduction Serge Quadruppani
Voilà pourquoi Montalbano
mange. Pour avaler encore et encore jusqu’à épuisement tout ce
qui reste de beau, de savoureux ou de sublime dans son monde. Comme
les privés de Chandler et Hammett avant lui, il a compris que la
chute est proche. Alors, il mange une énorme portion de rougets, une
double ration de lapin chasseur, des spaghettis aux praires et aux
moules (une portion et demie), des calamars et gambas grillés. Du
vin, mais ni eau, ni café. Tout ce cérémonial ne fait évidemment pas partie d'un ensemble de recettes, comme dans la plupart des romans ou autres séries qui se bousculent au portillon du roman noir, mais bel et bien d'un exutoire magnifique. Bon appétit à tous.
Julius Marx
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