mercredi 4 avril 2018

Koh Lanta






Le quincaillier de notre résidence surveillée ( avant, dans mon enfance, on l’appelait le « marchand de couleurs » . Après deux guerres mondiales, il nous restait encore un poil de poésie, c’est un fait.) Ce Marchand-là est une ombre, un fantôme. Pour le voir, il faut se pointer devant sa boutique aux alentours de minuit. Vous le trouverez probablement assis, à siroter un thé avec ses copains épiciers, laveurs de voitures ou vendeurs de pâtisseries. Minuit, dans notre résidence surveillée ou dans les faubourgs du Caire, c’est l’heure de pointe, le coup de chaud. Alors, puisqu’il faut bien tenir la boutique ouverte dans la journée, pour les égarés, les immigrés comme nous, le quincaillier à embauché un gamin. Le garçon quitte son matelas généreusement octroyé par son bienfaiteur au fond de la boutique, entre les rouleaux de fil de fer et les pots de peinture, dans la matinée ( l’heure est variable) pour nous servir. L’employé est sombre de peau (il vient probablement des régions du grand Sud). Il est atteint d’un strabisme divergent et d’un bégaiement chronique. Aussi, pour celui qui ne maîtrise pas la langue du Sud, le dialogue est un véritable combat. Ce matin-là, j’avais besoin d’une rallonge électrique, d’une clé anglaise et de plusieurs chevilles. Notre « lutte » se prolongea pendant une bonne demie-heure, avant que ne pénètre dans la boutique mon Deus-ex-machina qui c’était glissé dans la peau d’un employé de bureau baragouinant quelques mot d’anglais. En sortant épuisé de la quincaillerie, je pensais que les épreuves de Koh Lanta, face à notre vie quotidienne, paraissaient bien pâles et sans réel danger.

En rentrant dans mon nouvel appartement, plus petit, sans climatiseur et bien plus cher que le précédant, une autre épreuve m’attendait. Un contingent d’abeilles bourdonnantes s’était glissé dans mon modeste home par la porte-fenêtre délabrée. J’engageai la lutte sans réelle stratégie et boutai l’adversaire avec une bonne dose d’inconscience hors de nos murs. Enfin, à bout de force, je me laissais tomber sur mon matelas. Il ne me restait plus qu’à attendre minuit, histoire de dénicher un réparateur pour cette fichue porte-fenêtre.
Dès mon retour en France, c’est décidé, je m’inscris à Koh-Lanta.

Julius-Marx

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