Le
quincaillier de notre résidence surveillée ( avant, dans mon
enfance, on l’appelait le « marchand de couleurs » .
Après deux guerres mondiales, il nous restait encore un poil de
poésie, c’est un fait.) Ce Marchand-là est une ombre, un fantôme.
Pour le voir, il faut se pointer devant sa boutique aux alentours de
minuit. Vous le trouverez probablement assis, à siroter un thé avec
ses copains épiciers, laveurs de voitures ou vendeurs de
pâtisseries. Minuit, dans notre résidence surveillée ou dans les
faubourgs du Caire, c’est l’heure de pointe, le coup de chaud.
Alors, puisqu’il faut bien tenir la boutique ouverte dans la
journée, pour les égarés, les immigrés comme nous, le
quincaillier à embauché un gamin. Le garçon quitte son matelas
généreusement octroyé par son bienfaiteur au fond de la boutique,
entre les rouleaux de fil de fer et les pots de peinture, dans la
matinée ( l’heure est variable) pour nous servir. L’employé
est sombre de peau (il vient probablement des régions du grand Sud).
Il est atteint d’un strabisme divergent et d’un bégaiement
chronique. Aussi, pour celui qui ne maîtrise pas la langue du Sud,
le dialogue est un véritable combat. Ce matin-là, j’avais besoin
d’une rallonge électrique, d’une clé anglaise et de plusieurs
chevilles. Notre « lutte » se prolongea pendant une bonne
demie-heure, avant que ne pénètre dans la boutique mon
Deus-ex-machina qui c’était glissé dans la peau d’un
employé de bureau baragouinant quelques mot d’anglais. En sortant
épuisé de la quincaillerie, je pensais que les épreuves de Koh
Lanta, face à notre vie quotidienne, paraissaient bien pâles et
sans réel danger.
En
rentrant dans mon nouvel appartement, plus petit, sans climatiseur et
bien plus cher que le précédant, une autre épreuve m’attendait.
Un contingent d’abeilles bourdonnantes s’était glissé dans mon
modeste home par la porte-fenêtre délabrée. J’engageai la lutte
sans réelle stratégie et boutai l’adversaire avec une bonne dose
d’inconscience hors de nos murs. Enfin, à bout de force, je me
laissais tomber sur mon matelas. Il ne me restait plus qu’à
attendre minuit, histoire de dénicher un réparateur pour cette
fichue porte-fenêtre.
Dès
mon retour en France, c’est décidé, je m’inscris à Koh-Lanta.
Julius-Marx
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