samedi 10 octobre 2020

Valparaiso




Les sommets de Valparaiso décidèrent de laisser glisser leurs hommes et de précipiter les maisons d'en haut pour qu'elles aillent tituber dans les ravins teints en rouge par la glaise, en jaune vif par les dés d'or, en vert ombrageux par la nature sauvage. Mais les maisons et les hommes s'agrippèrent à la hauteur, ils se roulèrent en boule, ils se fichèrent en terre, ils se contorsionnèrent, ils se mirent à la verticale, ils s'accrochèrent avec les dents et avec les ongles à chaque abîme. Le port est un débat entre la mer et la nature évasive des cordillères. Mais dans cette lutte, l'homme a gagné. Les côteaux et la plénitude marine ont tracé le plan de la ville et ils l'ont faite uniforme, non comme une caserne mais avec la disparité du printemps, avec le contraste de ses peintures, avec son énergie sonore. Les maisons se firent couleurs: en elles se marièrent l'amarante et le jaune, le cobalt et le carmin, le vert et le pourpre. Ainsi Valparaiso assuma sa mission de port véritable, de navire échoué mais vivant, de bateaux avec leurs pavillons claquant au vent. Le vent du grand océan méritait une ville de drapeaux.

Pablo Neruda
J'avoue  que j'ai vécu
(Les chemins du monde)

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