lundi 4 juillet 2011

Montalbano et son double


Autant le dire tout de suite, il ne subsiste pas grand-chose de l'univers de Montalbano dans les épisodes  de la série télévisée diffusée en ce moment sur une chaîne française.
Ceci, pour plusieurs raisons évidentes.
La première qui crève les yeux (je devrais plutôt dire les tympans) c'est la langue. Les spectateurs italiens doivent  probablement se frapper sur les cuisses pour les plus démonstratifs ou simplement sourire ou même seulement hausser les sourcils pour les autres. Qu'importe,  pour les coeurs simples ou pour les endurcis  de la classe dominante, la langue de Camilleri rassemble.
Au passage, notons notre bonheur égoïste, à nous, lecteurs français qui avons, je le crois, la chance de lire ces récits traduits dans une langue aussi vive et démonstrative qu'intelligente.
La deuxième raison  c'est l'adaptation littéraire que l'on commet généralement des bons romans dits policiers et " à intrigues". Soumis à l'attendrisseur et au laminoir des équipes de scénaristes, le roman se retrouve presque toujours vidé de sa substance et il ne subsiste généralement que la dite intrigue seule.
Pour cette raison ,les téléfilms policiers se réduisent presque toujours à des déplacements ( entrées, sorties, arrivées de véhicules, départ de véhicules etc )  et à quelques scènes clés où le spectateur doit frémir ou s'émouvoir.
Cet état de fait est, bien entendu prévisible car, il suffit au Maestro d'écrire simplement  "Il mangea des  rougets à en appeler le médecin" pour que nous salivions instantanément. Ou alors, "Montalbano se rendit chez X par la route de la plage " puis, de décrire avec son habileté coutumière la grande maison de X.
La magie opérant, nous sommes immédiatement devant la maison, transpirant et haletant.
Pendant ce temps, chez les dealers of celluloïd (l'expression est d'Hitchcock), les techniciens installent les rails du travelling pour nous faire partager ce moment unique de l'arrivée de la voiture du commissaire dans la cour de la dite maison.
Pendant la pause syndicale obligatoire, où l'on partage ( en France le pâté de foie et en Italie, le sandwich mozzarella et mortadelle ), le Maestro trouve encore le temps d'écrire trois chapitres palpitants.
Oui mais, on ne peut pas dire que l'on s'ennuie lorsque que l'on regarde un de ces épisodes de la série des Montabano, alors ?
Alors, oui, c'est vrai,  les romans du Maestro sont si riches en personnages, si forts en sentiments (comme chez Simenon, par exemple) que même un critique de Télérama  ne pourrait réussir la prouesse de les rendre hermétiques et plats.
La troisième raison, c'est le choix du mode de récit. Les scripts débarrassés de tout ce qui nous, lecteurs, nous enchante, sont confiés à un réalisateur qui n'a plus qu'à dérouler le fil à partir du personnage même du commissaire, sans jamais le lâcher d'une semelle et  des scènes clés évoquées plus haut : présentation des lieux, découverte du meurtre, enquête, résolution de l'enquête, fin.
Ensuite, il ordonne au monteur de laisser tomber son sandwich mozzarrella/pommodore et lui donne comme consigne de caser çà et là quelques belles vues de la pittoresque Sicile et le tour est joué.
N'oublions pas  d'achever ce boulot de professionnel  avec la musique qui dégouline sans arrêt entre les plans et les dialogues, on se croirait dans un ascenseur !
Et si, par exemple, on choisissait un mode de récit plus original ? Si c'était Montalbano  lui-même qui parlait , et si , autre exemple, on filmait  d'autres points de vue, ceux des personnages secondaires, des escrocs?
Et pourquoi pas une simple petite scène où l'on découvre Montalbano en plein doute, lisant un petit passage des auteurs qu'il apprécie tant? Ah, mais alors! Vous voulez faire un film pour intellectuels !
Bon, je sais que l'on va me répondre que la série marche très bien, qu'aujourd'hui , tout ou presque se mesure en pourcentage et en recettes. Et alors, ce n'était déjà pas le cas avant?
Julius Marx
Retrouvez tous les personnages oubliés des téléfilms (donc les plus beaux) dans les romans traduits en français par Serge Quadruppani (Fleuve Noir)
Cette illustration pour vous prouver que je ne suis ni jaloux, ni aigri.




3 commentaires:

  1. Quelle belle (et tendre) analyse tu nous fais là, Julius.

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  2. Je suis d'accord avec vous sur les faiblesses de la série, mais je dois avouer que je la regarde toujours avec plaisir sur la RAI (ne serait-ce que pour les magnifiques paysages siciliens), et je trouve que Luca Zingaretti fait un Montalbano très crédible. Ceci dit, je me demande ce qu'il peut bien rester du charme de la série en version française...

    Je viens de terminer le dernier Montalbano, récemment paru en Italie, "Il gioco degli specchi", très réussi, avec une très belle référence à la scène des miroirs de la "Dame de Shanghai"...

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  3. Oui, c'est bien de cela dont il s'agit . Le produit est "agréable à regarder" et surtout filmiquement correct. La caméra se contente de filmer son sujet et c'est déjà pas mal (au moins, on nous épargne le filmage ordinateur de type "pieds au mur").L'auteur qui pourrait avoir l'idée d'insérer un détail dans le cadre ou de développer (juste un petit peu, on ne demande pas la lune) la relation Fazio/Montalbano n'existe plus. Le spectateur s'en fiche, en français comme en italien,
    Et moi aussi je m'en fiche car je lis les bouquins, cela suffit amplement à mon plaisir.

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