vendredi 7 décembre 2012

Le Polar est Nostalgique ...


-Où pourrais-je vous voir, tout à l'heure?
Un éclair passa dans les yeux de la femme.
-Je ne vous donnerai aucun renseignement...
-Dommage... Vous me croyez quand je vous dis que je vous offrirai une possibilité de le laisser tomber?
C'est pourtant vrai. Il ne pourra jamais vous rattraper.
-Je suis bien comme je suis.
Sur la piste, trois jeunes femmes, deux blanches et une mulâtresse, apparurent dans un rond de lumière et commencèrent à exécuter une danse ondulante. Pour tout vêtement, elles portaient une ceinture de coquillages vernis. Silien leur jeta un coup d'oeil distrait. Les lumières faiblirent et le tam-tam s'accéléra.
-Dommage...répéta Silien en rallumant une cigarette.
La femme ne répondit pas. Silien regardait sa belle bouche aux coins tombants. Le changement d'éclairage accentuait son type, mais donnait à son visage un rayonnement étrange. Elle évitait maintenant les yeux de Silien et se forçait à suivre les évolutions des danseuses. Le truand avala son verre d'un trait et tira de sa poche deux billets de mille qu'il posa sur la table.
-Vous partez? demanda la femme.
-Evidemment, dit Silien doucement. Je voulais vous parlez de certaines choses, mais vous ne voulez pas m'écouter...
-Je suis déçue, je le reconnais. Un instant, j'ai presque cru que c'était pour moi que vous vous étiez dérangé..
Je suis bête, n'est-ce pas?
-Vous avez exigé que je sois franc. Je l'ai été. Mais, vous savez, ça fausse le sens, quand on exprime les choses trop nettement. Si j'ai été brutal, c'est que le temps nous manque.
Pierre Lesou 
Le doulos
(Série noire n° 357)

J'achète mes polars dans une boutique hors du temps. Un genre de lieu sanctuaire qui ravive la nostalgie des librairies d'avant, celles des labyrinthes  odorants où le client accro se faufilait entre les piles de bouquins ou grimpait sur l'escabeau branlant pour dénicher LA perle rare.
Celle dont je vous parle est jalousement  conservée par deux hommes en blouses blanches. Le plus vieux (le patron) est assis sur une chaise pliante et écoute son petit transistor ( un brocanteur lui en donnerait à coup sûr un bon paquet.) L'employé se tient debout  derrière la caisse et tente d'empiler les livres de poche, les revues  ou les ouvrages classiques tout en sachant  qu'il lutte contre un ennemi beaucoup plus fort que lui.
Chez eux, l'ordre ne règne pas, autant le dire tout de suite.
En retirant  mon  Doulos de la pile, j'ai provoqué un vrai cataclysme littéraire en me  ramassant  les douze tomes des Rois Maudits sur le pied.
Le Doulos, c'est les années 50 .C'est aussi et surtout une histoire d'hommes. A cette époque le polar veut  surtout montrer, avec la plus grande précision, le monde des truands. Même si l'on échappe pas à une certaine idéalisation , il faut avouer que le Doulos atteint bien son but.  On y parle d'amitié, ou plutôt de fraternité et puis d'honneur, au sein de ce qu'on appelait alors le  milieu.
On pense aussi, bien entendu, au film de Melville et à ses personnages. Si Belmondo  et sa gueule d'ange de l'époque donne l'impression de jouer dans un vrai film policier, Reggiani  est Noir, très noir même.
Sur son visage, tour à tour, se lisent la vengeance, la rancoeur et puis la soumission. C'est le visage d'un homme qui joue sa dernière carte en pensant en son for intérieur que les dés sont pipés, que ce monde de collabos ou autres corrompus n' est décidément plus fait pour lui.
Ah, j'allais oublier... sur la première page du bouquin j'ai inscris mes initiales. Ca aussi c'est une coutume d'un autre temps.
A quoi bon?
Julius Marx



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