vendredi 13 septembre 2013

Le Polar est cinéphile



Dehors, la foule piétinait toujours dans la froidure de cet hiver qui n'en finissait pas de mourir et qui s'était répandu jusqu'à cette mi-juillet, s'accrochant aux branches...
A peu près à la soixantième place de l'épaisse et longue queue, sur son trente et un, en petit tailleur Chanel prune, un joli chapeau chapeau sur la tête, sac en main, talons aiguille, Coralie attendait elle aussi, un peu nerveuse.
Enfin il y eut un "aaahhh!" général de satisfaction. Deux gendarmes ouvraient le grand portail. Les premiers de la file se ruèrent dans le vestibule d'honneur, sans doute comme le fit la foule à Versailles il y aura bientôt deux siècles, le portefeuille ou le sac ouvert.
(A l'intérieur du château transformé pour la circonstance en  musé, Eddy et son complice sont cachés dans la coque vide de deux momies exposées (1) )
Depuis un quart d'heure, un gigantesque piétinement leur montait aux oreilles, comme un ronflement de grande marée d'automne : chaussures raclant le parquet ciré de la grand-salle, murmures, exclamations, cris de joie des enfants, sifflements admiratifs, lazzis de loubards, explications de guide lorsqu'il s'agissait de visites en groupe... La foule défilait devant "les enfants" du père Eddy, avec le même étonnement et la même joie que celle qui, jadis, passait lentement devant les Funambules et l'estrade de Deburau, boulevard du Crime...
-Garance! Garance! appela un père de famille qui avait égaré sa fillette dans la foule.
 Et l'on entendait presque, en bruit de fond, les flonflons de Thiriet et de Kosma...
Pierre Siniac
Les enfants du père Eddy
Néo - 1984
Pénétrer dans un roman du grand Siniac, c'est un peu comme entrer dans ce théâtre des Funambules. Et on imagine ce que devait ressentir les enfants du Paradis, justement, ces spectateurs des classes laborieuses abonnés au poulailler. On n'hésite pas à rire plus fort que de coutume en lisant les blagues et calembours, à se pencher par-dessus la rambarde pour crier quelques précieux conseils à l'amoureux transis, son amour à la jeune première.
Et puis, enfin, la représentation achevée, on se tient nous aussi debout en appelant l'auteur.
Si, comme l'a dit l'angliche, la vie est une tragédie, Siniac est le plus grand dramaturge de l'ère Polar.
Julius Marx

( 1) Note de votre serviteur pour vous permettre de mieux comprendre ce qui suit... Ne me remerciez pas, c'est naturel

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