lundi 13 janvier 2014

Le Polar est Salutaire


Oui, je sais, en ce moment, en France, vous avez beaucoup d’autres préoccupations. Mais, après tout, lire (ou relire)  un écrivain qui n’a jamais cessé de mettre en scène  les dérives de notre société  n’est peut-être pas tout à fait inutile.
 Lors des conversations, il m’est souvent arrivé  de me vanter ( si, si ,ça m’arrive, je vous assure) de posséder l’intégrale de l’œuvre de Pierre Siniac. Alors, imaginez un peu ma surprise en découvrant sur l’étagère poussiéreuse  d’une boutique  de livres soldés,  ce livre de poche de la collection Engrenage. L’instant reste encore plus gratifiant et  magnifique (émotionnellement parlant) que de trouver, par exemple, la fève dans une galette. Quant à la lecture, disons que c’est la galette  toute entière, accompagnée d’un Rivesaltes ambré de la maison Cazes.
Ce qui surprend le lecteur, pourtant  familiarisé avec le style combatif et exagérément abusif du génial Pierrot, c’est le nombre impressionnant de personnages mis en scène.  Mais, ce qui laisse encore plus songeur, c’est que Siniac, après avoir admirablement  donné vie aux truands  Dambermotte, Moskowiak  Janesco  et  Gaugueuze,  aux politicards Pétrofianni et Minthus, à leurs hommes de main  Callebecque et  Orcieux-Lelong,  prend un malin plaisir à les dégommer tous un par un! Un vrai jeu de massacre ! A chaque page, ou presque,  ou se croirait à la foire du Trône, sur le stand du  tir aux pigeons ! Hécatombe qui ne s’achève qu’à l’ultime scène, par une  simple crise cardiaque.

La seconde surprise de taille, c’est le choix de l’auteur de confier le bon sens et la morale au Général Marcel Ranjard. L’ancien d’Indochine et du Djebel algérien qui  n’aime ni  les flics, les politicards et  les  hommes des médias  qu’il  classe immédiatement dans la catégorie  des planqués improductifs et nuisibles .Ranjard coule des jours paisibles dans une nature jusque ici  inviolée,  en lisière de  la forêt vosgienne, partageant sa retraite avec quelques hommes de son régiment, Toutouque le braconnier ou Bergerin, le garde forestier écolo.  Du coup, la nature devient même un des personnage du roman. Lisez par exemple ceci: " La Range Rover parvint  en vue du rond-point de la Bartavelle, un endroit de toute beauté comme les grandes forêts en ont plein leurs poches et qu'elles ne céderaient pas pour un sycomore géant à la plaine ou au vallon, ces envieux, une vaste clairière entourée de grands sapins, d'aulnes aux feuilles étincelantes et de superbes bouleaux blancs, à la floraison encore jaunâtre car mai commençait à peine."
De l'autre côté, celui des autorités, le paysage se découvre  beaucoup plus  austère (tout comme l'écriture).
"Le soir tombait. Un peu de brume. Le Paris-Zurich venait de dépasser la gare de Langres à une allure modérée. Triangles jaunes. Le convoi ne tarda pas à accentuer son ralentissement. On était dans les lointains faubourgs de la ville. Des entrepôts, des baraquements, des silos, tout ça sous une suie centenaire, avec des wagons-citernes rouillés qui obstruaient l'infrastructure des voies à perte de vue. Le train allait de moins en moins vite. Vingt à l'heure, peut-être. Les flics à journal avaient lâché leurs feuilles. Ils ne somnolaient pas, mais presque. Des colonnes d'encre leur avaient rougi les yeux. Les truands étaient bien sages. On leur avait permis de fumer.Le compartiment était allumé.On regardait les voies dans le crépuscule, les hangars, les saloperies qui poussent d'ordinaire le long des voies ferrées.Perdue dans le fouillis des pylônes,des panneaux de signalisation, des passerelles et des cages d'aiguillage, une pendule lumineuse suspendue comme une araignée indiquait 20h31."
Pour le reste, c'est du Siniac magnifique ; l'humour, la férocité, l'irrationnel (un enfant échappe aux tueurs en chevauchant un cerf !)  et les références cinématographiques, tout y est. Quant à l'intrigue et à son dénouement, c'est à vous de juger. Quand je vous disais qu'il n'est jamais vain  de lire un vrai roman noir.
Julius Marx











7 commentaires:

  1. Le polar, comme disait l'autre, est le grand genre moral de notre époque.
    C'était il y a longtemps.

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  2. Hélas, il n'y en a plus guère de disponibles, des bouquins du père Pierrot, à part quelques uns chez Rivages !
    Je suis tombé l'an passé sur Ferdinaud Céline qui est une splendeur.

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  3. Je reste toujours sidéré par la construction diabolique de "Femmes blafardes" et la poésie de "Aime le Maudit". Un auteur "de malice noire" comme disait JPM.

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  4. Quel auteur, oui, mais quelle collection, aussi...Siniac, en fait, était un vrai réac. Un réac qui aimait les freaks, comme souvent les vrais réacs.

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    1. On remarquera d'ailleurs que le mot freak renferme le phonème [reak]…

      Sinon, j'ai enfin entamé Femmes blafardes, qui était sur ma table de chevet depuis des décennies. Quel bonheur !

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  5. Un réac, peut-être, ou un anar qui privilégiait l'ordre moral?

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