Il faisait
grand jour quand je rentrai à l’hôtel. J’ouvris la fenêtre de ma chambre qui
donnait sur le Vieux-Port. Je poussai ma table devant la fenêtre. Je tombai la
veste. J’allai déballer mes armes à feu et c’est en bras de chemise que je me
mis à astiquer mes carabines, à les astiquer et à les graisser sérieusement, ma
fine Winchester, ma Jupiter à lunette, ma Mauser 9,3 et
mon fusil à éléphant, mon gros Maennicher, calibre22.
…C’est Restif de la Bretonne qui remplaça tous les
saints du calendrier par les noms de ses maîtresses, en en marquant trois le
dimanche et cinq ou sept à l’encre rouge les jours des plus grandes fêtes
liturgiques. Gavarni tenait un agenda tout aussi complexe et embrouillé. Moi,
un alphabet de 24 lettres me suffit pour faire revivre toutes les femmes que j’ai
connues, connues selon la Bible ou tout simplement imaginées, sans parler des
femmes de l’histoire et de la légende, les amoureuses peintes dans les musées,
les phantasmes nocturnes, les inconnues que j’ai baisé en vitesse sur le pont
des embarcations ou derrière une porte, les hermaphrodites, les succubes, mes
filles illégitimes, mon ex- épouse, mon Amour, et Hélène-la-morte, celles dont
j’ai tout oublié, la couleur des yeux, le ventre, le sourire, celles qui ne
sont pas venues à un rendez-vous, celles dont on a pris congé pour toujours
sans leur avoir plaqué, tant la hâte de
la séparation était grande, un baiser d’adieu dans les jarrets, et toutes les
muses, les oaristys, les égéries, les hamadryades de la poésie et les reines de
l’écran d’argent. 24 lettres, cela me paraît bien suffisant car avec un
alphabet de 24 lettres on peut faire
62044840173323943936000
combinaisons,
ces trillions de billions de milliards de millions de combinaisons qui sont autant de
noms propres qui me sont chers…
Toutes les
cheminées fumaient. Marseille sentait le
bois de pin enflammé et le four à boulanger.
Une nouvelle journée commençait.
Une nouvelle journée commençait.
Blaise
Cendrars
Le vieux
port- in L’homme
Foudroyé (Folio)
Photo : Une femme lascive des colonies, au bas de l'escalier de la gare St Charles que Cendrars qualifiait de faunesque.
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