mardi 13 janvier 2015

Noir et blanc



« La jeep était encore à un kilomètre lorsque je l’entendis. Elle contourna le lac, et quand elle entama le virage, les oiseaux s’envolèrent des arbres. Ils s’élevèrent en un bouillonnement, tout droit, puis, comme une bourrasque les avait emportés, virant abruptement, d’un même mouvement, à droite toute. La plupart de ces arbres étaient là depuis quarante ou cinquante ans. La plupart des oiseaux étaient dans le coin depuis moins d’un an et partiraient d’ici peu. J’étais quelque part entre les deux. »

Ce qui frappe dans l’écriture de Sallis ce n’est pas uniquement cette poésie ni même l’humour ou encore le jeu cruel et  parfois déconcertant auquel se livrent les personnages entre eux  mais surtout, le rythme. Chez lui, le lecteur n’a pas beaucoup le temps de souffler. Les chapitres s’enchaînent aussi vite qu’une Ford aux cylindres qui cognent. Si l’écriture flirte avec les auteurs blancs comme Carver ou Thomas Mc Guane, il faut bien admettre que le noir l’emporte toujours, en partie grâce à l’implacable mise en image de la misère sociale, aussi bien chez ceux qui sont en cavale que chez ceux qui sont chargés de les rattraper. Alors, blanc ou noir ? Je dirais simplement que Sallis tente de réunir les deux.

« J’allai chercher Des verres à l’intérieur. Nous versai à tous deux de bonnes doses et lui passai le sien. Il le leva à la lumière, prit une gorgée, soupira.
-Ca fait un moment que je voulais monter vous dire bonjour, dit-il. Mais, toujours un truc à faire. Me suis dit que ça pouvait attendre. Pas comme si on allait se sauver, vous et moi.
Ce fut tout pendant un moment. Nous restâmes assis à regarder les écureuils grimper aux arbres et sauter de l’un à l’autre. J’avais cloué une vieille boîte de conserve rouillée au pacanier et l’avais remplie de noix à leur intention. De temps en temps l’un d’entre nous tendait le bras et refaisait les niveaux. Pas grand-chose d’autre ne bougeait. Par ici on n’est jamais loin de comprendre que le temps est une illusion, un mensonge. »
James Sallis
Cypress grove (Bois mort)

Gallimard (Série Noire)
Image: Fred Mc Murray et Claire Trevor in Borderline (William A. Seiter-1950)

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