« La jeep
était encore à un kilomètre lorsque je l’entendis. Elle contourna le lac, et
quand elle entama le virage, les oiseaux s’envolèrent des arbres. Ils s’élevèrent
en un bouillonnement, tout droit, puis, comme une bourrasque les avait
emportés, virant abruptement, d’un même mouvement, à droite toute. La plupart
de ces arbres étaient là depuis quarante ou cinquante ans. La plupart des
oiseaux étaient dans le coin depuis moins d’un an et partiraient d’ici peu. J’étais
quelque part entre les deux. »
Ce qui
frappe dans l’écriture de Sallis ce n’est pas uniquement cette poésie ni même l’humour
ou encore le jeu cruel et parfois déconcertant auquel se livrent les personnages entre eux mais surtout, le rythme. Chez lui, le lecteur
n’a pas beaucoup le temps de souffler. Les chapitres s’enchaînent aussi vite qu’une
Ford aux cylindres qui cognent. Si l’écriture flirte avec les auteurs blancs
comme Carver ou Thomas Mc Guane, il faut bien admettre que le noir l’emporte
toujours, en partie grâce à l’implacable mise en image de la misère sociale,
aussi bien chez ceux qui sont en cavale que chez ceux qui sont chargés de les
rattraper. Alors, blanc ou noir ? Je dirais simplement que Sallis tente de
réunir les deux.
« J’allai
chercher Des verres à l’intérieur. Nous versai à tous deux de bonnes doses et
lui passai le sien. Il le leva à la lumière, prit une gorgée, soupira.
-Ca fait un
moment que je voulais monter vous dire bonjour, dit-il. Mais, toujours un truc
à faire. Me suis dit que ça pouvait attendre. Pas comme si on allait se sauver,
vous et moi.
Ce fut tout
pendant un moment. Nous restâmes assis à regarder les écureuils grimper aux
arbres et sauter de l’un à l’autre. J’avais cloué une vieille boîte de conserve
rouillée au pacanier et l’avais remplie de noix à leur intention. De temps en
temps l’un d’entre nous tendait le bras et refaisait les niveaux. Pas grand-chose
d’autre ne bougeait. Par ici on n’est jamais loin de comprendre que le temps
est une illusion, un mensonge. »
James
Sallis
Cypress
grove (Bois
mort)
Gallimard (Série
Noire)
Image: Fred Mc Murray et Claire Trevor in Borderline (William A. Seiter-1950)
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