Nous rentrons
du centre-ville, après une petite soirée chez nos amis P. Autant dire que nous
sortons du cratère du volcan. Nos oreilles bourdonnent encore. Cette nuit, ce
ne sont pas les chiens ni la musique qui m’ont réveillé mais, une tronçonneuse,
vers trois heures du matin !
Ici, le
voyage est souvent une expédition. Nous devrions mettre deux heures pour rallier
le quartier très européen de Maadi à
notre résidence surveillée. Mieux
vaut employer le conditionnel, parce que sous nos contrées, le temps ne se
mesure évidemment pas. Les estimations sont donc stupides et inutiles. Mais, on
a tout à fait le droit de s’amuser au petit jeu des pronostics. Si la police
décide subitement de former un barrage à la sortie de la capitale, compter une
bonne heure de plus. Si nous avons la
chance de nous faufiler entre deux accidents, s’il n’y a aucun match de
football annoncé pour ce soir… Nous verrons bien. Dans tous les cas de figure,
Dieu sera là pour nous donner un petit coup de main.
Notre
mini-bus est plein à craquer. Pas besoin de musique, les sonneries des
téléphones portables assurent l’ambiance. Derrière moi, une femme de ménage
africaine tente d’expliquer à son correspondant qu’elle vient d’oublier son foulard
de prière et son Ipad chez sa patronne.
A l’entrée du corridor (une autoroute de huit voies fonçant droit sur le désert)
une camionnette chargée de sac de ciment vient de perdre une partie de sa
cargaison. Portière ouverte, le chauffeur fume en regardant défiler les
voitures comme un badaud dans une fête foraine. Pendant ce temps-là, le gamin
qui l’accompagne ramasse les sacs un à un, échoués à une cinquantaine de mètres
de la camionnette. Bien entendu, le chauffeur pourrait faire une petite marche
arrière pour soulager un peu son apprenti mais, souvenez-vous, le temps ne
compte pas.
Demain, nous
ne sortirons pas. La rue va célébrer la révolution de Janvier, bien entendu,
mais aussi la fête de la police. Probablement une manifestation de cette
dérision chère à Albert Cossery.
Je crois que
ma voisine pourra finalement récupérer son foulard de prière et son Ipad. C'est bien. Tout rentre dans l'ordre.
Julius Marx
Les hommes oubliés de Dieu,Albert Cossery:
RépondreSupprimerIls approchent de la ville. Les réverbères se font plus nombreux et plus éclatants.
La civilisation se fait sentir comme ça, aux lumières qu'elle prodigue autour d'elle pour aveugler les gens.