La poésie a
parfois ce genre d’effet. Soit on se retrouve au septième ciel, soit on barbote
en pleine dépression. On pond un premier vers formidable, mais la pensée n’est
pas assez puissante pour en enchaîner d’autres et, au beau milieu de la
création, les mots s’ennuient et se font la guerre. Nos carnets sont remplis de
ces fragments, le shrapnel de nos intentions. La vie est pingre en conclusions,
voilà pourquoi on se bat souvent pour achever un poème. Certains sont perdus à
jamais. On se promène parfois en ruminant plusieurs versions d’un même texte
qui n’aboutissent à rien. On est l’esclave de cette langue du chaos qui nous
fait cogiter des jours et des semaines entières. Quand le poème finit par
fonctionner, on nage dans le bonheur et on oublie les difficultés passées, tout
comme on oublie très vite ses souffrances. Les comportements extrêmes constatés
chez les poètes s’expliquent sûrement par ces tensions. Quand l’esprit passe
autant de temps dans la fièvre, il crée certains dérangements qui, depuis longtemps,
sont à l’origine de nombreuses blagues chez les universitaires.
Jim Harrison
Le Vieux Saltimbanque
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