jeudi 6 octobre 2011

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Il est là, posé sur mes genoux ... Mon appareil photo. Pour une fois, j'ai bien pensé à recharger cette fichue batterie. Pour tout dire, je suis opérationnel, rien ne pourra m'échapper !
Un seul petit bémol pourtant : la pluie, c'est un véritable déluge. Je me demande comment Houphouët ( notre chauffeur) peut bien  apercevoir la route avec ce rideau opaque devant les yeux.
Qu'importe, je me rassure en pensant qu'ici, les nuages s'en vont aussi vite qu'il sont arrivés.
Pourtant, sur le pont qui nous fait basculer en zone 4, c'est l'apocalypse. J'aperçois une petite barque, plus bas, sur la lagune, juste sous la haute tour de l'hôtel Ivoire. Fouettée  par les bourrasques de vent , elle tangue dangereusement. Je me demande qui est le plus en sécurité : les pêcheurs sur leur coque de noix ou bien nous,  les cinq passagers recroquevillés dans leur habitacle surchauffé, les yeux rivés sur ce qu'on doit bien appeler une route mais qui, dans le cas présent  ressemble  plutôt  à un torrent.
Nous quittons le quartier des super-marchés et autres boutiques luxueuses. Aussitôt, nous pénétrons dans un autre monde. Ici, pas le moindre immeuble . Rien que des baraques agglutinées en bordure de route. Quatre planches et une tôle suffisent pour un commerce, quelques briques et deux chaises pour un café, la terre et un parasol seulement  pour  les vendeuses de fruits et légumes.
En quittant la route à double voies, nous nous enfonçons dans le quartier de BJ. S'enfoncer est le verbe adéquat. Le chemin de terre et de boue  est si raviné que la voiture bascule sans arrêt vers l'avant. Nous allons  droit vers l'océan avec la désagréable impression d'y être déjà plongé. A l'extérieur, d'autres commerces : ceux des marchands d'alcool, des guérisseurs ou des missions évangéliques ; la sainte trinité du "aide -toi et le ciel t'aidera" .
Enfin, c'est le village que nous sommes venu visiter. Des baraques de planches alignées sur le sable, mais aussi de  simples maisons, quelques-unes seulement,  achevées avec un toit et une porte. Dès notre descente de voiture, les enfants nous entourent. La pluie a enfin cessé, c'est peut-être un signe. Ils nous escortent en riant, en poussant des cris de joie. Nous devons avancer, pas de temps à perdre, on nous attend...  
Fixée  sur un  mur d'enceinte, une banderole peinte annonce le  but de la manifestation du jour : "protégeons nos enfants, inscrivons-les à la mairie dès la naissance".
-Avec un état-civil, l'enfant existe.. m'explique la présidente de l'ONG qui nous a invité.
Bon, je prendrai une photo de la banderole plus tard . Pour l'instant, entrons dans l'enceinte.
Dès notre entrée, un millier de gamins  en tee-shirt et casquettes se mettent à crier, à applaudir.
Nous traversons l'arène en saluant. Sous le choc, je me demande ce que je fiche ici, je veux faire marche arrière. Les gens d'autres ONG qui m'accompagnent me pousse vers l'avant. L'enceinte est décorée de ballons multicolores, de guirlandes. Les enfants sont rangés, probablement par ordre de taille, de chaque côté d'une estrade de fortune. Ils applaudissent toujours.
Droit devant, nous apercevons nos chaises réservées. A notre gauche des parents, à notre droite, les chefs coutumiers. Pendant que je serre des mains, je ne peux m'empêcher de jeter un oeil en direction des enfants. Celui-là, devant, assis en tailleur avec  sa casquette beaucoup trop grande. Cette fillette qui danse, ses copines qui frappent dans leurs mains...
Une grande partie de ces enfants sont des déplacés. 
-C'est à dire des orphelins ... Ils ont perdus leurs parents... La crise, vous comprenez?
-Oui, la crise..
La responsable de l'ONG veut nous présenter un des ses protégés.
Est-ce que nous  remarquons ces entailles sur son corps ?
-Regardez aussi celui-la... Il faudra bientôt changer sa prothèse, il grandit !
-Oui, nous voyons...Oui.
Heureusement, les discours arrivent. C'est bien la première fois que j'accueille les discours avec un certain soulagement.Les enfants applaudissent encore.
Puis, place au spectacle. Les enfants ont répétés des pas de danse. La sono grésille mais qu'importe, les cris des enfants sont beaucoup plus forts. Un groupe a préparé une petite pièce de théâtre. Des scènes si vivantes    et réalistes qu'elles  font pleurer la responsable de l'ONG.
Le spectacle se termine par une grande distribution de tee-shirts et de biscuits. Perché sur l'estrade,  un animateur assène une fois de plus  les messages du jour entre deux sifflements stridents expulsés par la sono.
Je sors totalement groggy de l'arène.
Dans la voiture, nous restons tous silencieux. Ce n'est que bien plus tard, après une petite pause au bord de l'océan, que je prends ma première et unique photo de la journée. Je respire un peu mieux..





Je te salue, vieil océan...
Julius Marx

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