mardi 25 octobre 2011

Mrs Livingston



"-Vas-y, dit Carella. Enfonce-la.
Meyer leva la jambe droite, se repoussa du mur d'un coup d'épaule et appuya violemment son pied sur la serrure. La porte vola en éclat à l'intérieur. Meyer la suivit, revolver au poing :
-Bougez pas ! hurla-t-il.
Et le petit homme maigre qui était en devoir de passer par la fenêtre sur l'escalier de secours extérieur s'immobilisa, indécis, à cheval sur le rebord.
-Vous allez vous faire mouiller, là-dehors, papa, dit Meyer.
L'homme hésita encore un instant, puis il ramena sa jambe dans la pièce. Meyer regarda ses pieds. Il n'avait pas de chaussettes et souriait d'un air contrit à la femme qui se tenait près du lit. Elle était en combinaison , sans culotte ni soutien-gorge.C'était une grosse femme molle d'une bonne quarantaine d'années, les cheveux rouges teints au henné, les yeux délavés au regard incertain d'ivrogne.
-Madame Livingston? demanda Carella.
-Ouais, et alors? Vous en avez du culot d'entrer comme ça chez les gens!
-Votre ami était bien pressé. Pourquoi?
-Je ne suis pas pressé, dit le petit homme maigre.
-Ah! non? Vous partez toujours par la fenêtre?
-Je voulais voir s'il pleuvait toujours.
-Oui. Il pleut toujours. Amenez-vous un peu par ici.
-Qu'est-ce que j'ai fait? gémit l'homme, mais il obéit vivement.
Meyer le palpa d'une main experte et extirpa de la ceinture du pantalon un revolver qu'il tendit à Carella.
-Vous avez un permis pour ça? demanda Steve.
-Tant mieux pour vous. Votre nom?
-Cronin. Léonard Cronin.
-Pourquoi étiez-vous si pressé de partir monsieur Cronin?
-Ne lui répons pas, Lennie. T'as pas à lui répondre, lança Mrs Livingston.
-Vous êtes avocate, madame? demanda Meyer.
-Non, mais...
-Alors ne donnez pas de conseil. On vous a posé une question, monsieur Cronin.
-N'y dis rien, Lennie!
-Ecoutez, Lennie, soupira patiemment Meyer, nous avons le temps.Nous, nous ne sommes pas pressés. Vous pouvez parler ici, ou au poste, nous on s'en fiche. Cherchez ce que vous voulez nous dire, et dites-le. En attendant, mettez vos chaussettes, et vous, madame Livingston, je vous conseille de mettre un peignoir ou quelque chose, avant que nous n'allions deviner qu'il se passait des choses, dans cette pièce. D'accord?
-Je n'ai pas besoin de peignoir. Ce qu'il y a à voir, vous l'avez déjà vu, alors.



Dans la petite salle des interrogatoires, le lieutenant Byrnes disait:
-Vous avez votre franc parler, madame Livingston, on dirait?
-J'aime pas qu'on vienne me tirer de chez moi comme ça.
-Cela ne vous a pas gênée d'être traînée dehors en combinaison?
-Non. Je me soigne. Je ne suis pas mal faite.
.........../
Et soudain, Mrs Livingston se mit à pleurer.
Immobile, très droite sur sa chaise, elle ne sanglotait pas, ses épaules ne tressautaient pas. Ce n'était plus qu'une pauvre femme agressivement rousse, une femme vieillissante en combinaison rose, aux seins lourds et aux yeux délavés, qui laissait ruisseler les larmes sur ses joues flétries, en silence.
-Je vais vous chercher un manteau, un vêtement quelconque, dit le lieutenant.
-J'en ai pas besoin. Je me fous qu'on me voie, je m'en fous. Tout le monde peut voir ce que je suis. C'est pas difficile. J'ai pas besoin de manteau. C'est pas un manteau qui cachera ce que je suis.
Byrnes la laissa dans la petite pièce, pleurant sans bruit sur sa chaise."


Nous achevons (temporairement) la période Mc Bain avec ces extraits de "Give the boys a great big hand" (La main dans le sac-1960). Sourire, émotion , bref, du grand art.

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