lundi 3 juin 2013

R

R, comme Roman.





Personne ne peut nier que certains romans ont le pouvoir presque maléfique de bouleverser la vie de leurs lecteurs.
J'ai lu (en une seule nuit, je crois) le Guignol's Band de Louis-Ferdinand Céline. A dix-sept-ans, je n'avais pas encore ouvert le moindre livre. Les cinquante premières pages, racontant la débâcle avec ce style qu'il est inutile de décrire aujourd'hui, m'ont balancé au  tapis.
Plus tard, d'autres romans, et encore ce sentiment que rien ne sera plus jamais comme avant. 
Lisez ce texte  de Lampedusa copié en 2010 sur ce blog.
Comment ne pas rêver de la Sicile après ça?


"La route était maintenant légèrement en pente et on voyait Palerme très proche dans l'obscurité la plus complète. 
Ses maisons basses et serrées étaient accablées par la masse démesurée des couvents; 
de ceux-là, il y en avait des dizaines, tous immenses, souvent associés par groupe de deux ou trois , couvents d'hommes et de femmes, couvents riches et couvents pauvres, couvent nobles et couvents plébéiens, couvents de Jésuites, de Bénédictins, de Franciscains, de Capucins, de Carmes,de Rédemptoristes, d'Augustiniens...
Des coupoles émaciées, aux courbes incertaines, pareilles à des seins vidés de leur lait, se dressaient encore plus haut, mais c'étaient ces couvents qui conféraient à la ville son air sombre et son caractère, son décorum joint au sentiment de mort que même la frénétique lumière sicilienne ne parvenait jamais à dissiper.
A cette heure là, en outre, la nuit presque tombée, ils devenaient les despotes du panorama
Et c'était contre eux, en réalité, que les feux sur les montagnes étaient allumés, attisés d'ailleurs par des hommes entièrement semblables à ceux qui vivaient dans les couvents, tout aussi fanatiques, tout aussi fermés, tout aussi avides de pouvoir, c'est à dire, comme de coutume, d'oisiveté.....//

...A présent, en effet, la route traversait les orangeraies fleuries et l'arôme nuptial des fleurs d'oranger annulait toute chose comme la pleine lune annule un paysage: l'odeur de transpiration des chevaux, l'odeur de cuir des capitonnages, l'odeur du Prince et l'odeur du Jésuite, tout était effacé par cette odeur islamique évoquant houris et outre-tombe charnels.



Giuseppe Tomasi Di Lampedusa " Il Gattopardo" 1958
(Editions du Seuil 2007 Nelle Trad.)

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