mercredi 26 juin 2013

Mes aventures de sieste


Sous nos latitudes, nous n'attendons pas le chant du coq pour nous lever (d'ailleurs, ici, les coqs chantent même pendant la nuit. Encore un mystère à éclaircir..) Ainsi, dès l'aube, tous le monde s'agite. C'est que nous n'avons pas vraiment le choix ; il faut absolument faire ce que l'on a à faire avant que le soleil ne soit trop haut dans le ciel.
Puis, vient l'heure de la sieste. Pour le lecteur couché, c'est le moment propice pour  vivre quelques aventures extraordinaires.
Le silence est total. Les rideaux de la chambre résistent vaillamment au vent marin. Ouvrons le livre.
Ce jour-là, j'étais la victime d'une catastrophe ferroviaire. Je n'étais pas mort et c'est sûr, quelqu'un allait bien  venir me sortir de là.

"Il faut vraiment qu'ils se grouillent ces cons, je vais crier, je vais passer à la télé, ils vont tout découper au chalumeau , ils ont sûrement des chiens pour chercher, je suis coincé sous la tôle. Je ne sentais pas mon corps, j'avais les mains toutes froides, j'étais paralysé.
Je me suis remis à éternuer.Bordel c'était pas le moment d'attraper la crève, mais il y avait quelque chose qui me chatouillait les trous de nez, et qui voletait du nez vers ma bouche. Des cheveux.
C'était pas les miens, je viens d'y passer, chez le coupe-tifs, ma mère m'y force tous les mois, elle veut pas que je ressemble à un bitenique, comme elle dit, j'allais être en retard au pensionnat, ça la fout mal, en seconde faut assurer, les Pères ils vont gueuler, les Pères, je les emmerde. Jésuite dans les idées, comme dit Eric.
Si c'est pas mes cheveux, c'est les cheveux de qui? J'avais la tête tournée complètement à droite. J'ai essayé de la redresser, mais un poids me bloquait. Un poids rond, pas lourd. Avec des cheveux qui me tombaient sur le nez et dans la bouche. Alors, c'est venu tout seul, le genre illumination, j'ai revu la fille assise en face de moi me sauter à la figure. C'est la fille. Sa tête est sur moi. Mon corps s'est mis à trembler. Une tête morte.J'ai eu envie de vomir et mon estomac a fait des bonds et c'est comme ça que j'ai senti que j'avais encore un estomac.
-Ne remuez pas s'il vous plaît...
La tête au-dessus de ma tête, celle qui a des cheveux, s'était mise à parler.Et là, tout d'un coup, comme si la voix c'était la vie, j'ai senti que mon corps était bon, en entier, vivant et écrasé par le corps de quelqu'un d'autre qui parlait, qui était vivant et en entier, puisqu'il parlait.
-J'ai du fer qui me rentre dans le dos, si vous bougez, ça rentre encore plus...
Une drôle de voix, avec beaucoup de douleur dedans. Une voix qui sortait d'une bouche à peine à deux centimètres de mon oreille, une voix faible, comme pour ne pas me péter les tympans, je sentais le souffle des mots. Ca m'a fait un drôle d'effet.
-J'ai mal au cou, j'ai dit.
Elle a reniflé.
-Vos cheveux me chatouillent, j'ai redit avec une voix complètement cassée.
Je l'ai entendue soupirer. Et sentie onduler.
Petit à petit , au fur et à mesure que moi,sans bouger, j'essayais uniquement avec l'intérieur de ma tête de sentir chaque partie de mon corps en contractant les muscles un par un, comme le prof de gym nous le fait à la fin d'un cours, il appelle ça de la décontraction zen ,il doit se prendre pour Toshiro Mifune, sauf qu'il n' a pas du tout la tête d'un samouraï, il ressemble plutôt à Jean Carmet, en même temps donc que je faisais bouger mon corps, et ça faisait mal à certains endroits, très mal, plus mal que des bras ou des jambes qui ont des fourmis, j'ai senti le corps de la fille sur moi. Totalement aplatis, on était.
-Ne bouge pas, s'il te plaît.
Toujours sa petite voix."

Je pense que c'est à ce moment là que je me suis endormi, avec cette petite voix douce dans mon oreille.
Julius Marx
Texte : Jean-Bernard Pouy (L'homme à l'oreille croquée-Folio Policier N°25)
Image : Deanna Durbin in Lady on a train - Charles David- 1945

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