vendredi 14 février 2014

Paris (1)


Mais qu'est-ce qui  me pousse à retourner sur les lieux de mes vingt ans?
La nostalgie? Même pas. A cette époque j'étais triste et seul, incapable d'échanger, de communiquer avec quiconque. Quelle force m'oblige à aller vérifier que l'hôtel d'Oscar Wilde, découvert par quelques lignes de Borges, est toujours à la même place. Constater que les cinémas Action diffusent encore des films admirables en version originale ne m'apporte rien. Qui me demande de donner mon avis au sujet de toutes ces boutiques Starfuckers ( oui,je les appelle comme ça, je trouve que ce nom leur sied à merveille) qui ont remplacées librairies ou autres boutiques improbables? Qui me permet, enfin, d'adresser la parole à un barbu et sa copine, devant les bacs de bouquins de chez Gilbert Jeune (ou Joseph Gibert, ces deux-là, je les confond toujours) et de leur conseiller de laisser tomber leur gros thriller à 26 euros pour choisir les Hammett en occase, derrière le pilier, là, devant vous....
Sans avoir la réponse, je me retrouve Rue de Verneuil. Je ne cherche pas la librairie, je me souviens simplement que j'étais entré pour acheter juste un petit livre ; un petit format correspondant parfaitement au billet de cinquante francs que j'avais dans la poche. En me dirigeant vers la caisse avec mon Francis Picabia en main, je me trouvai face à un homme élégant aux tempes grisonnantes. Je n'entend plus aujourd'hui ses paroles. La seule chose que je sais c'est que  n'osais pas refuser d'acheter aussi les trois tomes des oeuvres complètes de Benjamin Péret (pour le chèque, je me disais que je pourrais toujours discuter avec le banquier, plus tard.. )
Cet homme, c'était Eric Losfeld, bien sûr. Et depuis, je sublime...

Quand la pointe des seins rencontre  le vent frais 
et dit Bonjour
le nombril descend l'escalier
sans s'inquiéter de savoir s'il pleut
s'il y a plus de marches que de pieds
pour les descendre
La beauté des pattes de mouche
devient alors plus relative que celle des pattes de tortues
C'est parce que l'écaille
fait des siennes d'un bout de l'année à l'autre
et le soir le tour des boites de nuit...(1)

Dans le métro, plus de hippies, il n'y a que des hommes jeunes aux cheveux ras, sanglés dans leurs uniformes bien repassés qui s'acharnent à prendre la pause, sérieuse et hautaine.
Tous les voyageurs ou presque sont appareillés. Une jeune femme, les yeux au ciel, serre son téléphone dans ses mains comme un crucifix.
Personne n'accorde un regard ( ou alors très furtif) au cul de jatte (comment Diable les nomme-t-on aujourd'hui ?)qui se traîne au sol. Aucune pièce ne tombe dans son escarcelle.
Entre deux rives, mon coeur balance
Surtout, ne pas se pencher au dehors.
(A suivre)
Julius Marx
(1)Texte extrait du poème de Benjamin Péret Mes sources.
Pas mal de sites sur le poète. La photo provient du site Nutopia (A hippie dream)

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