mercredi 9 avril 2014

Le Singe Viennois



J'étais enchanté de dormir dans la même chambre que Sullivan. Je me glissai entre les draps froids. Le plafond descendait juste au-dessus de moi et, en levant le bras, je le touchai du bout des doigts. Tous les enfants, songeai-je, devraient avoir le droit de dormir dans une chambre pareille; l'enfant adore les recoins et les angles inattendus, et l'équidistance lui donne des cauchemars, de même que les plans parallèles  qui ne cachent rien.
-Pike parle des bisons.
-Son histoire la plus triste, dit-elle.
-Nous y serons bientôt.
-David en route vers Oz.
-Je me demande s'il reste encore des Arapahos. Ou des Chiricahuas. Ma tribu préférée. Les Apaches Chiticahuas. Burt Lancaster avec son bandeau à dessin cachemire sur le front.
-Vas-tu avoir ton blizzard?
-Je ne pense pas, non. Le mois d'avril approche.
-Les fleurs du désert seront magnifiques.
-Est-ce que tu as déjà remarqué? L'obscurité semble inciter les gens à s'exprimer en phrases brèves.
-Oui, dit-elle. Et quand les lumières reviennent , nous nous mettons à divaguer pour dire rien et n'importe quoi. Mais au lit dans l'obscurité, nous sommes sollicité par le singe à l'affût dans notre sommeil.
-Quel singe?
-Nous devenons documentaires. Nous devenons des films d'actualité racontant ce que nous pensons être la vérité. Notre auditoire n'est guère plus qu'un fragment d'obscurité. Le véritable auditoire est l'obscurité même. Nous lui dévoilons notre vie, dans l'espoir d'apaiser le singe.
-Quel singe?
-Le singe viennois.

Don De Lillo
Americana
Photo : Burt Lancaster dans Apache de Robert Aldrich (1954)

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