Revu sur Youtoube Le Capitan. L'occasion de relancer cet article de la série Histoires comme-ci, comme-çà.
Comment j'ai rencontré le Capitan
Val d'Oise, 1963.
Ma grand-mère travaille comme femme de ménage dans un château de la région
parisienne.
Cette agréable demeure d'une cinquantaine de chambres avec
parc ombragé et courts de tennis était située en lisière de forêt.
Le gamin que je suis préfère courir dans les bois avec ses
copains, construire des cabanes au pied des arbres. Notre journée du jeudi s'étirait mollement, enveloppée dans la
fumée des lianes ou des P4, à l'abri des regards indiscrets. Ce
jour-là j'avais décidé d'abandonner mes camarades pour rejoindre le château. Dans
le grand parc, une équipe de cinéma au grand complet tournait
l'adaptation de"Patate", la pièce de Marcel
Achard, au cinéma.
Si j'avais fait ce choix, c'est essentiellement parce qu'on
m'avait dit que la belle Sylvie Vartan, la femme du grand Johnny, faisait
partie de la distribution. Si je réussissais à l'apercevoir, ou même à lui
soutirer un petit autographe, j'allais devenir sans aucun doute possible le phénix de ma cour
d'école primaire. En découvrant l'équipe au travail, tout ce matériel, ces gens
qui courraient dans tous les sens comme des hannetons affolés, je pensais que
l'affaire s'annonçait beaucoup plus compliquée que prévue. Comment se faufiler
dans cette jungle humaine? Des types en salopette, clope au bec poussaient
d'énormes caméras sur des rails qui ressemblaient à des voies de chemin de fer.
Le réalisateur, un chapeau de paille sur la tête, était assis sur une chaise
pliante. C'était à peu près le seul type silencieux et calme de ce sacré
chantier. Les deux filles assises à côté de lui sur de petits tabourets
feuilletaient de gros dossiers.
Tout d'un coup, quelqu'un cria "Silence!"
Un autre répéta la même chose, puis un troisième, un
quatrième et l'on n'entendit plus rien.Tous regardaient le petit escalier
en marches de pierres blanches comme si leur vie future ne dépendait que de ce
qui allait se passer sur cet escalier. D'une voix forte, le réalisateur cria
"Moteur!"
L’homme au clap se présenta devant l'escalier, présenta son ardoise devant l’objectif de la caméra en criant
à son tour : « Patate, scène 56, troisième ». Son annonce, fût Immédiatement suivie par la voix du
réalisateur : « Jean ! A toi. »
Alors, un homme sortit de la maison et descendit les petites
marches une à une, tranquillement, en sifflotant, comme un homme qui avait
descendu des petites marches pendant toute sa vie. Mais, cet homme n'était pas
le commun des mortels, c'était le Capitan ! J'étais tétanisé. Même s'il
avait remplacé sa tenue par un petit costume clair, un de mes héros préférés se
tenait à quelques pas seulement de moi. Je revis en un éclair la scène des
poignards, les combats à l'épée et les chevauchées fantastiques.
Quelqu'un venait de
crier "coupez!" Je redescendis sur terre, parmi les vivants.
Le Capitan s'approcha du réalisateur en souriant. Son
sourire me fit comprendre que l'ambiance était plutôt au beau fixe. Le
réalisateur lui donna une accolade. Puis, les hannetons se mirent à courir de
nouveau dans tous les sens. Un quart d'heure plus tard, le même cérémonial se
déroula. Le Capitan descendit les marches de nouveau. Mais, cette fois-ci, il
le fit en sautillant légèrement. Puis, encore une fois, mais, plié en deux, le
buste penché vers l'avant. Cette version déclencha les rires dans l'équipe.
Tout le monde avait reconnu l'imitation de son personnage du Bossu. Les
versions s'enchaînèrent à un rythme fou. Des applaudissements chaleureux saluèrent
la fin de la représentation, le réalisateur attrapa mon héros par le bras et le
Capitan disparut à jamais.Le soir, dans ma chambre, sur le mur au-dessus de mon
lit, je décollais la photo de la belle Sylvie et la remplaçais par celle du
Capitan sautant de la fenêtre du château sur le dos de son fidèle
destrier.
La nuit fût très courte et agitée.
Elle l'est toujours pour ceux qui aiment à rêver
Julius Marx
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