jeudi 5 juin 2014

Le polar est Amour (17)



Il sonna.
-Mais on peut savoir qu'est-ce que t'as oublié, cette fois? lança de l'intérieur une rageuse voix féminine.
La porte s'ouvrit. En découvrant un inconnu, Mme Serena se porta une main à la hauteur de la poitrine, pour tenir bien serrée sa robe de chambre. Un instant plus tard, elle tentait de refermer la porte, mais le pied du commissaire bloqua la manoeuvre.
-Qui êtes-vous? Que voulez-vous?
Nullement effrayée ni inquiète. Splendide, les yeux verts en lupara, elle répandait une telle odeur de femme et de lit que Montalbano en éprouva un très léger vertige.
-Ne vous inquiétez pas, madame.
-Je ne m'inquiète de rien, je voudrais seulement qu'on me casse pas les couilles à cette heure.
Peut-être que madame Verruso n'était-elle pas vraiment une dame.
-Je suis le commissaire Montalbano.
Pas la moindre frousse, à peine un geste irrité.
-Ouf, qu'est-ce qu'on nous gonfle, avec ça! Encore? Vous venez pour ce vol de rien du tout?
-Oui, madame.
-Mon mari hier au soir, il m'a cassé la tête avec cette histoire que vous, vous l'avez convoqué. Il s'est pris une telle frousse qu'il a failli s'en chier aux braies.
Toujours plus délicate, Mme Serena.
-Je peux entrer?
La dame se mit de côté avec une grimace, puis le conduisit dans un petit salon  d'un faux XVIIIe horripilant, le fit asseoir sur un fauteuil incommode rutilant d'or.
Elle prit place sur celui d'en face.
Soudain, elle sourit, les yeux incrustés de veines de lumière noire, de celles qui rendent le blanc violet. Les dents étaient un éclair retenu.
-J'ai été impolie et vulgaire, excusez-moi.
A l'évidence, elle avait décidé de suivre une ligne stratégique différente. Sur la table basse entre eux, étaient disposés une boîte à cigarettes et un briquet colossal d'argent massif. Elle s'inclina, prit la boîte, l'ouvrit, la tendit au commissaire. Dans ce mouvement parfaitement contrôlé, la partie supérieure de la robe de chambre s'élargit, découvrant complètement deux nichons petits mais d'apparence si ferme que Montalbano arrêta qu'on y pouvait aisément casser des noix.
-Que voulez-vous de moi? demanda-t-elle d'une voix basse , en le regardant dans les yeux et en lui tendant toujours la boîte à cigarettes ouverte.
Ce qu'elle ne disait pas avec des mots était néanmoins clair : Quoi que tu veuilles, je suis prête à te le donner.
Andrea Camilleri 
(La lettre anonyme)
Traduction Serge Quadruppani.
Image : Gina Lollobrigida in Come September (Robert Mulligan-1961)

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