mercredi 16 décembre 2015

Ainsi du coeur




(Klarskovgaard.) Le 27 mai (1948)
Monsieur
Je vous remercie pour la bonne surprise que j’ai éprouvée en lisant votre article dans les Lettres Françaises(1). L’on ne m’y injuriait pas ! dénonçait pas ! Comme c’est amusant !
Encore un petit effort et les Lettres Françaises finiront par avoir de l’esprit ! Pour la vérité des choses, puisque l’occasion m’est offerte, je dois avouer que je n’ai jamais lu une ligne d’Aragon, ni d’aucun autre surréaliste (2) – non par mépris, dédain, que diable, mais simplement  parce que le temps m’a manqué, même en prison.
Par contre Aragon m’a beaucoup lu lui, et sa femme, puisqu’ils m’ont traduit, et d’office, le Voyage, dès 1934.
Pour le reste la transposition du langage parlé en écrit, sa récréation…vous n’y êtes pas encore… Vous brûlez certes… mais tout de même d’assez loin… Vous êtes-vous jamais demandé quel diable poussa les Impressionnistes à sortir du Jour d’Atelier ? On travaille si bien dans un Atelier… mais c’est dehors qu’on se mouille… Ainsi du cœur et c’est le cœur le style.
LF Céline
(Lettre à Raymond Queneau)
1.    
             « on cause », par Raymond Queneau, Les lettres Françaises n° 207, 6 mai 1948. Dans cet article consacré à l’emploi du français parlé en littérature l’auteur remarque : « Ce sont presque toujours des bourgeois qui ont écrit (ou tenté d’écrire) en langage parlé. » Le premier exemple qu’il donne est les propos de coco bel-œil de Julien Guernec, puis il en vient à Voyage au bout de la nuit auquel il consacre un paragraphe.
2.       Après avoir reconnu l’importance de Voyage, Queneau conclut curieusement : « l’influence d’Aragon et du surréalisme en général, sur Céline est incontestable.

3.       Notes : Henri Godard et  Jean-Paul Louis (Pléiade 2009)
        Dessin: Picabia
  

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