Ecrivain brouillon, je suis devenu
le brouillon d’autres écrivains, d’auteurs présumés tels, le grouillot de gens
importants qui n’ont pas le temps d’écrire, si ce n’est leur nom sur la
couverture. On les comprend. Je suis une sorte d’écrivain public que le public
ne connaît pas. Il y a des gens qui donnent la vie comme d’autres donnent la
mort, un tueur à gages ne se soucie pas de l’avenir du cadavre, après tout. J’ai
tout d’un tueur à gages, mais j’en suis le contraire ; j’ai tout d’un
écrivain, mais j’en suis le négatif. A force d’être nègre, on voit tout en
noir. Je suis pourtant d’un naturel rieur, espiègle, nullement encombré d’une
culture encyclopédique, ne lisant que des cils, n’écrivant que du bout des
doigts ; nègre sans nom, écrivain sans renom, il est douteux que les
badauds du Père-Lachaise fassent un jour un détour pour lire mon épitaphe.
Seule curiosité de la pierre : l’épitaphe restera gravée, mon nom s’effacera.
Hervé Prudon
Plumes de Nègre
Mazarine (1987)
Retrouvé ce beau livre chez une fidèle amie et relu de suite! Tout au long de ma lecture, j'ai très souvent pesté contre le goujat qui avait prit la liberté de griffonner (certes, au crayon papier, mais, tout de même!) le texte avant de m'apercevoir que c'était moi le coupable.
On peut juste imaginer le triste sort d'un nègre à la Série Noire.
Image : John Turturro et John Goodman dans le Barton Fink des Coen Bros (1991)