vendredi 3 mars 2017

Jugan






Il faut imaginer la jeune fille légèrement éblouie.
Il faut toujours imaginer la jeune fille légèrement éblouie et c’est ainsi qu’Assia Rafa fait son entrée dans chacun de mes rêves de Noirbourg.
Parfois, je la vois qui relève les yeux alors qu’elle est penchée sur le travail d’un des nombreux mômes venus faire leurs devoirs au centre social de la Zone : un rayon de soleil a traversé une vitre douteuse pour se poser sur une carte de géographie représentant l’empire colonial français. Assia change légèrement de position et reprend à voix basse ses explications pour le gamin Gitan aux yeux trop grands, au regard trop clair.
Jérôme Leroy
Jugan

A Noirbourg, la Poisonville de la Manche, l’heure des règlements de compte est venue. C’est le moment de compléter les cases débit et crédit. Avant le grand saut, il est important que personne n’échappe à cette dernière vérification, cet ultime combat.
Autant le dire tout de suite, ce roman de Jérôme Leroy fait partie des bouquins que l’on savoure et, il faut au lecteur attentif qui veut à tout prix prolonger la lecture, une autodiscipline draconienne pour ne pas s’envoyer un à un la totalité des chapitres à toute vitesse.
Si les personnages sont tous attachants, c’est aussi du côté de la « méthode » qu’il faut chercher les raisons de cette réussite. L’intrigue nous est racontée par un narrateur omniscient, dont on ne sait pas toujours s’il rêve ou s’il est éveillé, qui se permet un incessant voyage dans le temps, volant çà et là entre les époques et les lieux. Le temps elliptique est ici aussi volontairement malmené que dans un récit cinématographique.
L’intemporalité de ce récit veut elle signifier par la même occasion l’intemporalité de la lutte ?  Rodain, le vieux syndicaliste vaincu, cite Marx, qui lui-même citait Hegel à propos de l’histoire qui se répète « une première fois sous la forme de tragédie, la deuxième sous forme de farce. »
Finissons avec une simple petite remarque à propos des « épiciers arabes ». Dans l’instructif spectacle de Fellag sur la préparation du couscous, l’auteur nous raconte l’histoire de cet épicier qui en a assez qu’on le traite d’arabe. « Il n’a rien contre les arabes, bien au contraire, mais lui est Berbère marocain (ou autre) et il en a plus assez qu’on le prenne pour ce qu’il n’est pas.  Mais, il ne dit rien. Il respecte la France, la légèreté et l’ignorance de ses habitants. »

Julius Marx

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