vendredi 24 mars 2017

Sur le roman Noir... Encore !





Si l’on admet l’idée que jadis, les pères fondateurs du roman noir ont tentés par leurs écrits de rallier à une cause qu’ils pensaient juste « le peuple d’en bas ». Si l’on admet aussi que les fondateurs du roman policier à énigme, Edgar Poe le premier, ont tentés de communiquer au même public « les choses qui ne peuvent être révélés » on ne peut qu’être irrités, aujourd’hui, en constatant que ces deux genres majeurs (auxquels viennent s’ajouter les sous-genres comme le thriller ou le policier historique) n’ont plus comme unique fonction  que d’endormir cette entité platonique chère aux démagogues que l’on surnomme « la masse ». 
Ce paradoxe irritant devrait plonger tout lecteur d’Hammett, Chandler ou Burnet dans une crise de convulsions qui ne cesserait qu’à l’apparition du grand exorciste Ellroy. Après  d’épuisantes séances ponctuées par plusieurs réflexions sur le style et la dégradation progressive de notre monde, le Saint homme de la paroisse de Los Angeles brûlerait plusieurs manuels de psychologie avant de  prendre congé du possédé. Son ricanement ne cesserait d’hanter la chambre du malade, bien longtemps après son départ.
Sur le grand marché nocturne de la tripe, des abats et des poncifs rebattus, les marchands se bousculent. Les organisateurs de ce commerce sans doute très lucratif ont bien pris soin de faire arroser les trottoirs dès le petit matin. Alignés derrière leurs étals dégoulinants de sang, les artisans saluent ce geste professionnel. Puis, vient l’heure de la représentation, du prime-time de l’horreur et de l’angoisse. Prépare-toi à frissonner public ! Pour l’occasion, on a créé  la fameuse série, le feuilleton quotidien de tous ces bons abonnés, fin prêt à découvrir l’enjolivement de leur propre misère, entre la poire et le fromage.
Bref, lire un roman classé noir aujourd’hui, c’est un peu comme participer à un grand débat télévisé où un journaliste fielleux-dompté demanderait à un homme politique influent les causes de la dégradation, du marasme, de notre belle société.
En finissant un bouquin comme « Ténèbres, prenez-moi la main » de Dennis Lehane, par exemple, où l’auteur prend grand soin d’étaler l’horreur comme des paquets de lessive en promotion (du plus petit au plus grand) de tartiner chaque page de psychologie gluante, de coller çà et là le flic têtu (d’origine irlandaise, bien entendu), des sérials-killers à côté desquels le bon docteur Petiot passerait pour un néophyte, on se dit, décidément que Westlake ou Mc Bain nous manquent terriblement.   

C’est vrai, il y a bien un petit clan d’irréductibles, retranchés dans leurs villages de campagne comme  les Gaulois d’Astérix, mais ceux-là, on ne les trouve jamais dans les rayons des « grandes bibliothèques ». Et c’est de leur faute, après tout, à force d’ouvrir leur grande gueule.

Julius Marx

1 commentaire:

  1. Cher Julius, je ne saurais trop vous recommander Christopher Brookmyre, qui allie à merveille l'humour caustique de Westlake et la férocité critique de Manchette (j'en viens presque à le leur préférer, honte à moi !)

    On trouve encore assez aisément Petit bréviaire du braqueur — manuel pour clowns situationnistes, entre autres — et Faites vos jeux — délicieux conte de fées cauchemardesque à l'usage des jeunes grands-mères…

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