Si l’on
admet l’idée que jadis, les pères fondateurs du roman noir ont tentés par leurs
écrits de rallier à une cause qu’ils pensaient juste « le peuple d’en bas ». Si l’on admet
aussi que les fondateurs du roman policier à énigme, Edgar Poe le premier, ont
tentés de communiquer au même public « les
choses qui ne peuvent être révélés » on ne peut qu’être irrités,
aujourd’hui, en constatant que ces deux genres majeurs (auxquels viennent s’ajouter
les sous-genres comme le thriller ou le policier historique) n’ont plus comme
unique fonction que d’endormir cette
entité platonique chère aux démagogues que l’on surnomme « la masse ».
Ce paradoxe
irritant devrait plonger tout lecteur d’Hammett, Chandler ou Burnet dans une
crise de convulsions qui ne cesserait qu’à l’apparition du grand exorciste
Ellroy. Après d’épuisantes séances
ponctuées par plusieurs réflexions sur le style et la dégradation progressive
de notre monde, le Saint homme de la paroisse de Los Angeles brûlerait
plusieurs manuels de psychologie avant de
prendre congé du possédé. Son ricanement ne cesserait d’hanter la
chambre du malade, bien longtemps après son départ.
Sur le grand
marché nocturne de la tripe, des abats et des poncifs rebattus, les marchands
se bousculent. Les organisateurs de ce commerce sans doute très lucratif ont
bien pris soin de faire arroser les trottoirs dès le petit matin. Alignés derrière
leurs étals dégoulinants de sang, les artisans saluent ce geste professionnel. Puis,
vient l’heure de la représentation, du prime-time de l’horreur et de l’angoisse.
Prépare-toi à frissonner public ! Pour l’occasion, on a créé la fameuse série, le feuilleton quotidien de tous ces bons abonnés, fin prêt à
découvrir l’enjolivement de leur propre misère, entre la poire et le fromage.
Bref, lire
un roman classé noir aujourd’hui, c’est un peu comme participer à un grand
débat télévisé où un journaliste fielleux-dompté demanderait à un homme
politique influent les causes de la dégradation, du marasme, de notre belle
société.
En finissant
un bouquin comme « Ténèbres,
prenez-moi la main » de Dennis Lehane, par exemple, où l’auteur prend
grand soin d’étaler l’horreur comme des paquets de lessive en promotion (du
plus petit au plus grand) de tartiner chaque page de psychologie gluante, de
coller çà et là le flic têtu (d’origine irlandaise, bien entendu), des
sérials-killers à côté desquels le bon docteur Petiot passerait pour un
néophyte, on se dit, décidément que Westlake ou Mc Bain nous manquent
terriblement.
C’est vrai,
il y a bien un petit clan d’irréductibles, retranchés dans leurs villages de
campagne comme les Gaulois d’Astérix,
mais ceux-là, on ne les trouve jamais dans les rayons des « grandes
bibliothèques ». Et c’est de leur faute, après tout, à force d’ouvrir leur
grande gueule.
Julius Marx
Cher Julius, je ne saurais trop vous recommander Christopher Brookmyre, qui allie à merveille l'humour caustique de Westlake et la férocité critique de Manchette (j'en viens presque à le leur préférer, honte à moi !)
RépondreSupprimerOn trouve encore assez aisément Petit bréviaire du braqueur — manuel pour clowns situationnistes, entre autres — et Faites vos jeux — délicieux conte de fées cauchemardesque à l'usage des jeunes grands-mères…