mardi 16 avril 2013

Mise en scène


La première question que l'on se pose avant d'écrire une scène de fiction c'est : où ?
Le lieu choisi doit, à l'évidence, apporter une sorte de valeur ajoutée à la confrontation qui va opposer les différents protagonistes.
Ensuite, le jeu consiste à décrire le plus rapidement possible ce lieu en mêlant des informations nécessaires et d'autres plus poétiques.
Une fois l'installation achevée ,c'est maintenant  au tour des personnages d'entrer en scène.
Voici donc un modèle d'installation si intelligent qu'on comprend de suite pourquoi Westlake nous envoûte à ce point.
Comprenez-moi bien, ce n'est pas seulement drôle, c'est aussi et surtout terriblement efficace.

"Depuis que je me suis rangé des voitures, dit l'homme nommé Querk, j'ai du mal à dormir la nuit."
C'était un symptôme dont Dortmunder n'avait encore jamais entendu parler; d'un autre côté, il n'avait pas rencontré tant de gens que ça qui s'étaient rangés des voitures.
"Han", fit-il. Vu qu'il ne connaissait pas vraiment cet homme nommé Querk, il n'avait pas grand chose à dire.
Querk,en revanche, si.
"C'est mes nerfs", expliqua-t-il , et à le voir, il était facile de le croire, que c'étaient ses nerfs. Un petit gars maigre, d'une cinquantaine d'années, avec d'épais sourcils noirs surmontant un nez en forme de banane surmontant une bouche aux lèvres fines surmontant un long menton anguleux, qui n'arrêtait pas de gigoter sur cette chaise en métal tressé de Paley Park, un jardin public grand comme un mouchoir de poche sur la 53e Rue Est à Manhattan, entre la 5e Avenue et Madison Avenue.
C'est un très joli jardin public, Paley Park, en plein Midtown, tout juste treize mètres de large et pas tout à fait l'espace d'un bloc, perché sur quelques marches au-dessus du niveau  de la 53e Rue.
Les murs des immeubles sont couverts de lierre des deux côtés et de grands févriers forment une sorte de dais feuillu pendant l'été, la saison où on était en ce moment.
Mais ce qui fait la beauté de Paley Park, c'est le mur d'eau du fond, un rideau qui s'écoule continuellement le long du mur arrière et tombe dans un bassin pour y être recyclé, produisant une sorte de chh-chh-chh très agréable qui couvre presque complètement le grondement des voitures, offrant une retraite paisible au beau milieu de l'agitation et permettant aussi à deux ou trois personnes- John Dortmunder, mettons, son ami  Andy Kelp, et le dénommé Querk , par exemple- de s'asseoir à côté et d'avoir une agréable conversation que personne, quel que soit le micro dont il dispose, ne pourra enregistrer. C'est véritablement stupéfiant que toutes les entreprise criminelles de la ville de New-York ne soient pas ourdies à Paley-Park; d'ailleurs, elles le sont peut-être.
"Vous voyez ce que ça donne, dit le dénommé Querk, qui leva les deux mains de ses genoux pour les tenir devant lui, où elles se  mirent à trembler comme un agitateur à peinture. Heureusement que j'étais pas un pickpocket avant de raccrocher.
-Ou perceur de coffres-forts, dit Kelp.
-Ca en fait, je l'étais, lui dit Querk. Mais j'étais de l'école nitro liquide, tu sais. Tu perces ton trou à côté de la combinaison , tu balances la purée, tu enfonces ton détonateur, tu recules. Les nerfs jouent aucun rôle là-dedans.
-Han", fit Dortmunder.
Querk le regarda en fronçant les sourcils :
"T'as de l'asthme?
-Non, dit Dortmunder, je suis d'accord avec toi, c'est tout.
-Si tu le dis."
Querk reporta son froncement de sourcils sur le pan d'eau, qui continuait son chh-chh-chh le long de ce mur, devant eux, tombait en cascade dans le bassin, ne s'arrêtait pas une seule seconde.
Paley Park, on ne voudrait pas en abuser non plus.
Donald Westlake
Walking around Money
in Transgressions (Calmann-lévy-2005)
Côté photo, qu'est-ce que vous pensez de ce John Payne ( dans 99 River Street de Phil Karlson-1953)
comme visage de Dortmunder ?
Julius Marx

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