-Vous savez
qui est ce type ? a-t-il demandé.
-Un certain
Fanch Tanguy, peut-être ?
Il a hoché
la tête comme si nous en parlions justement l’autre jour.
-Fanch le Siffleur.
Il y a un rapport entre la merde dans quoi vous êtes et Fanch le siffleur ?
Je lui ai
expliqué. Il hochait la tête et j’entendais toujours sa respiration. Au bout d’un
moment il s’est assis et il a bu trois grands verres de vin rouge en continuant
d’écouter ma narration. Je n’ai pas mentionné Charlotte Malrakis.
-Fanch le Siffleur,
a répété Haymann quand j’ai eu fini et il soupirait et souriait et ce n’était
pas un sourire plaisant.
-J’ai pensé
que c’était peut-être un uniforme de la Milice. C’est pourquoi je suis venu.
Pourquoi l’appelez-vous Fanch le Siffleur ?
-Parce qu’il
sifflait, a dit Haymann. Il sifflait la Danse Macabre. Vous savez ? (Il m’a
sifflé quelques mesures ; il sifflait faux.) Il semble qu’il avait été très
frappé par la vision d’un film de Fritz Lang qui s’appelle M le Maudit.
Il y a un maniaque homicide, là-dedans, je crois que c’est Peter Lorre qui
jouait le rôle, qui siffle tout le temps la Danse Macabre.(1)
-J’ai vu ça.
Dites… (Je me suis interrompu. Haymann a levé les yeux et m’a regardé d’un air intrigué. Il m’a demandé si
quelque chose n’allait pas.) Ca va bien, ai-je dit. Il y a un mendiant aveugle,
dans ce film, non ? Il reconnait le meurtrier en l’entendant siffler, c’est
ça ?
-C’est ça.
Ah oui ! s’est exclamé Haymann. Je vois ce que vous avez en tête. Mais ce
n’est pas vraisemblable.
-Pourquoi ?
-Fanch le
siffleur est mort. En 44.
-Est-ce que
vous allez me dire qui est Fanch le Siffleur, nom de Dieu !
-J’essaie. Mais
vous m’interrompez tout le temps. Fanch le Siffleur était une ordure. Il venait
du PNB, ce qui ne signifie pas en l’occurrence produit national brut, mais Parti
National Breton. Complètement mouillé avec les Boches. Au point de se brouiller
avec les fascistes du PNB, faut le faire. Vers 43, il a viré au voyou pur. Un
peu milicien, un peu Gestapo française, il était branché sur la rue Lauriston.
Racket, extorsion de fonds, renseignement, torture. Et il sifflait, pendant qu’il,
pendant qu’il…
-Ne vous
énervez pas, Haymann, ai-je conseillé.
Il s’est
renversé en arrière sur son siège, il a pris une profonde inspiration et, d’un
revers de main, il a envoyé l’échiquier valdinguer au milieu du salon. Les
pièces se sont répandues dans tous les azimuts. On s’est regardé et je ne disais
rien. Puis Haymann s’est calmé.
-J’ai disons,
des cousins par alliance qui ont eu affaire à Fanch le Siffleur. (Il a allumé
une Gitane maïs.) Vous savez comme nous sommes, nous autres Juifs. On s’énerve
pour des riens.
(1) Ce n’est
pas la Danse Macabre, mais un thème de Grieg, que siffle convulsivement
Peter Lorre dans M le Maudit. Haymann s’est trompé, ou bien Tarpon rapporte inexactement ses propos.
Jean-Patrick
Manchette
Que d’os !
1976
(Série Super-Noire- n°51)
Aujourd’hui,
nous fêtons les 50.000 visiteurs sur ce blog. J’écris « nous » parce
que je pense (peut-être par naïveté, mais qu’importe) que
nous sommes une petite famille, réunie autour de l’émotion et du
bien-écrit. Alors, que fait-on dans une famille qui se respecte pendant cette
période des fêtes ? On s’offre de jolis cadeaux qui, a-t-on coutume de le
dire, entretiennent si bien l’amitié. Pourtant, même si la joie et la fierté dominent, il nous faut surtout rester humble et garder en mémoire qu’une
bonne partie des visiteurs s’est retrouvé sur ce blog tout à fait par hasard ou à cause d’une curiosité malsaine après
avoir lu ces intitulés comme « une femme qui se couche » ou « La
position du missionnaire. »
Après tout,
quelle importance ? C’est Noël. Alors, parce qu’il nous a inspiré le nom
de ce blog et qu’on ne se lassera jamais de le relire : Manchette !
Julius
Marx
image: Peter Lorre dans le M de Fritz Lang (1931)
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