dimanche 7 décembre 2014

Une fête chez B



Pour arriver chez B, nous avons un plan. Il faut absolument, c’est important, abandonner sa voiture tout près du métro.

(Heureusement, nous sommes quatre. Trois personnes chargées de faire patienter nos suivants immédiats pendant que le chauffeur encastre sa voiture dans une petite niche entre des piles de briques et des sacs de ciment devant un immeuble en construction.)

Puis, escalader la passerelle qui enjambe les voies ferrées.

(Trois d’entre nous savent qu’en Egypte, les marches sont souvent irrégulières. Le quatrième l’apprend ce soir-là.)

Nous suivons les murs rouillés du corridor, qui n’en finissent pas d’être rafistolés de carton ou de bois, enveloppés d’un impressionnant réseau de fils électriques.

(Un vieil homme, assis en tailleur à même le sol, propose tout, ou presque, pour faire la fête : masques d’halloween, chapeau pailletés, couvre-chef pointu de sorcière et perruques bouclées.)

Nous basculons de l’autre côté de la voie.
(Comme leurs copines, les marches de l’escalier de l’autre rive, n’en font qu’à leur tête.)

18 heures. Le plan nous dit qu’il faut maintenant se diriger vers la gauche et remonter la rue commerçante qui se présente devant nous.

(Marcher dans une rue. Une action si simple en apparence mais qui devient vite un exercice périlleux. Ici, le verbe flâner n’existe pas. Ce qui est primordial pour sa survie, c’est de ne jamais s’arrêter.  Pour éviter les humains, les tricycles pétaradants, les voitures,  les camionnettes, les porteurs, il faut remonter le courant en se laissant porter par la houle-foule.)

Marcher encore.Nos repères: une pharmacie et une boutique de téléphone-mobile qui font l’angle de la rue.

(La cadence est bonne. Penser à reprendre son souffle en émergeant au-dessus de la vague régulièrement.)

Puis, une fois sur les lieux, prendre à droite.

(Où est cette fichue pharmacie ? Dans ce quartier, il y a une boutique de téléphone mobile dans chaque recoin d’immeuble ! Un berger abandonne provisoirement son troupeau de chèvres pour nous renseigner. Notre prononciation l’amuse beaucoup.)

Enfin, arrivés devant l’immeuble de B, grimper les cinq étages.

(La porte n’existe plus. Dans le minuscule hall, une forme drapée dans des étoffes noires, dort paisiblement sur les marches, surveillée par une bande de chats. Les matous ont tous le nez écorché.)

Après une longue ascension, nous embrassons enfin B et sa petite fille avec satisfaction et soulagement.

(Nous visitons leur appartement, en poussant de grands « oh! » et « ah ! » devant chaque pièce,  comme le veut la coutume. Le tour du propriétaire achevé, nous nous installons sur la terrasse pour goûter un repos bien mérité. Nous décidons de déboucher sans attendre une bouteille de vin local.)

Dans la rue, cinq étages plus bas, c’est une autre célébration beaucoup moins païenne que la nôtre, qui se déroule. Marchant à pas cadencés sur des tapis, entre de gigantesques tentures suspendues, de longues files d’hommes s’étirent. Ils sont tous venus rendre le dernier hommage à un défunt.

(Les haut-parleurs de tout le quartier se mettent aussitôt à rugir. Nous sursautons. Pas un seul d’entre nous n’a jamais entendu un tel volume. Tout autour de la cérémonie, la foule-houle poursuit son va et vient. Au loin, derrière un immeuble nous apercevons même un feu d’artifice !)

B sourit de notre surprise. Elle nous apprend que les mariages, célébrés au même endroit, sont un peu plus « joyeux ».

(Un de nous lui demande si le son est toujours aussi élevé. Nous n’entendons pas sa réponse.)

Minuit. Lorsque nous quittons notre fête, la rue n’est toujours pas calmée.

(Je me demande à quel moment l’essaim d’abeilles, qui s'est logé maintenant depuis quelques heures dans mon oreille, va enfin s’envoler vers d’autres contrées.)

Pour revenir chez vous. Prendre le chemin inverse.

(Nous traversons la brume qui vient de se lever, avançant comme des automates, totalement groggy. Le plus jeune du groupe propose de revenir  chez B, un autre soir, pour une fête de mariage.)


Julius Marx

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