Il
s’introduisit dans son cabinet de travail, prit, dans l’ordre, l’Orlando
furioso, le Guerrino detto il Meschino et l’Ettore Fieramosca,
en allant se chercher les pages où se trouvaient les duels les plus
sanguinaires. Renforcé par cette lecture, à six heures de l’après-midi, il
ouvrit le tiroir à gauche du bureau, prit le revorber, vérifia qu’il était
chargé, se le mit en poche et sortit sans saluer Romilda. Désormais, il était
décidé à venger l’honneur blessé. Il commença à arpenter le trottoir devant
l’église, en attendant la fin de la messe. L’emmerdant, c’est qu’on était
dimanche et qu’il y avait du passage : toutes les cinq minutes, il devait
soulever son chapeau et s’incliner pour répondre à un salut ou bien pour saluer
en premier quelque pirsonne de respect. Quand il se fut convaincu que la
dernière paroissienne était sortie de l’église, il entra, décidé. L’église
était déserte. Il esquissa un mouvement pour se diriger vers la sacristie mais
s’arrêta net en s’apercevant que le père Carnazza en sortait à ce moment. Le
curé, arrivé au pied du maître-autel, s’agenouilla et commença à prier les
mains jointes. Le chevalier s’approcha, en se mettant un peu de côté pour
pouvoir le fixer de profil. Il tira de sa poche le revorber. Pendant ce temps,
le père Carnazza s’était couvert le visage d’une main et de l’autre, avait
commencé à se donner de grands coups de poing sur la poitrine.
-Qué faute !
qué faute !
A la lumière
des cierges, le chevalier vit que le curé s’était mis à chialer, et qu’entre
deux sanglots, il murmurait quèque chose. Le chevalier, pour mieux l’entendre,
fit un pas en avant.
-Pardonne-moi,
Seigneur ! Pardonne cette chair pécheresse !
Se
pouvait-il qu’un mal famé, un gredin pareil fût capable de prier avec tant de
foi ? Qu’il se repentît sincèrement de ses sales péchés ? Troublé, le
chevalier se recula en rempochant son arme. Comme avait fait quelques siècles
plus tôt un certain prince du Danemark (mais le chevalier ne savait rien de
l’histoire), il en vint à la conclusion qu’on ne peut tuer un homme qui prie.
Il lui suffit de ses vingt pas pour arriver au portail, sortir et se persuader
d’une autre chose, à savoir que lui, il n’était pas capable de tuer quelqu’un,
que ce quelqu’un prie ou pas. Mais de la faire tuer, ça, oui, il en était
capable.
Le père
Carnazza garda les oreilles dressées jusqu’à ce qu’il n’entendît plus les pas
du chevalier résonner dans l’église. En sortant de la sacristie, il avait tout
de suite reconnu le mari de Romilda et
en avait deviné les mauvaises intentions. Alors, il s’était mis à jouer la
comédie de la prière et du repentir, en espérant que l’autre serait assez con
pour y croire. Mais l’affaire ne pouvait pas continuer comme ça, si M. le
receveur des postes se sentait démanger les cornes encore une fois, la chose
pouvait se répéter très dangereusement. Il fallait remédier à ça.
Andrea
Camilleri
La Mossa
del cavallo (Le Coup du Cavalier)
Métailié-suites
(traduction de Serge Quadruppani)
Dans ce
roman savoureux comme un cannoli (publié
pour la première fois en 1999) digne des Paroisses de Regalpetra le
Maestro s’amuse, et nous aussi par la même occasion. Non pas seulement avec ses
personnages comme il en a l’habitude mais aussi avec les nombreuses
références aux classiques de la
littérature de l’île (le jeune Giovanni Bovara n’est pas sans rappeler le
capitaine Bellodi du Jour de la Chouette de Sciascia) mais aussi de tout
le pays (Le curé Carnazza est aussi vil que celui des promessi sposi) et
du monde entier (voyez cette allusion à un certain prince du Danemark, plus
haut). Et puis, grâce au traduttore nous avons l’impression si
réconfortante de parler le sicilien,
d’être un peu de la famille. Bref, tout à fait le genre de roman qu’on aimerait
lire à l’infini et ne s’interrompre que pour déguster un énorme plat
de rougets grillés. Oublier le monde, ne conserver que la dérision.
Julius Marx
Image : Broderick Crawford le Monseigneur de Fellini dans son Il Bidone (1955)
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