mercredi 3 décembre 2014

Le Polar Est Amour (22)



 












  


Elle me regarda par-dessous.
-Par ici, on ne se lance pas dans les batailles perdues d’avance quand on peut l’éviter. On garde sa force pour ce qui est utile.
Elle laissa filer quelques instants, avant de répéter :
-Tu ferais mieux de me parler d’amour. Pour me faire plaisir.
Elle semblait au bord des larmes, comme dans la voiture. La blessure entrevue sous la brutalité volontaire de fille du peuple. Une plaie éternelle, de quoi perdre la tête. Mais il n’y avait rien à gagner au vertige. La plupart des femmes, d’habitude, ne pardonnaient pas à l’homme assez novice pour s’engouffrer dans l’impasse. Elles finissaient par mépriser ce qu’elles prétendaient vouloir. Et Macha plus qu’une autre, dans cette ville où primait la force.
Je décidai d’ignorer les exigences de ma nouvelle amie. Je n’avais pas le choix.
-Et tu sais, toi, pour qui travaillait l’assassin et à quoi ?
-Je te l’ai dit tout à l’heure, ils sont venus sans dire bonjour et ont exigé un examen le doigt pointé au plafond.
-Qui ça, « ils » ?
-Le délégué à la sécurité de la mairie, et son adjoint.
-Je vois. Le maire du palais.
-C’est grâce à la mairie de Cergueï exerce toujours, qu’il peut acheter le tiers de ses besoins en médicaments et autres.
A nouveau, elle me contemplait d’un œil insolent. Ce petit jeu prenait des allures de rengaine. Elle ajouta :
-Un tiers, ça n’est pas si mal.
Je m’approchai d’elle et lui caressai la cuisse.
-Mais tu mens sur le confrère ce Cergueï. Tu sais qui c’est.
-Il y a peut-être un lien véritable entre nous, dit-elle. Tu devines beaucoup de choses, et moi, je sais tout de toi, déjà.
-Trop tôt pour se prononcer.
-Tous pareils. Dès que vous avez eu ce que vous voulez…
Elle s’interrompit, secoua la tête, avant de chuchoter :
-Mais il y a au moins ça, entre nous : le lit.
Je la désirais encore, et plus violemment. Elle baissa la tête pour goûter à mon silence, sans lâcher ni la proie ni l’ombre. Puis se redressa, se tourna et m’attira en elle. Démoniaque. L’étreinte se prolongea. La ferraille lumineuse des yeux, peut-être, chauffait à blanc.
Thierry Marignac
 Fuyards
Rivages/ Noir


Dans  mon exil, j’ai enfin pu dénicher deux romans de Thierry Marignac. Dans Renegade Boxing Club  il s’agit d’opposition. Affrontement de deux mondes, un peu comme les romans de John Le Carré, dont l’auteur, avec son écriture soignée, son sens absolu du détail et surtout ses personnages n’est pas si éloigné que ça, après réflexion.(1)
Le premier, c’est le monde des « valises diplomatiques à double-fond » du mensonge et des faux-semblants. Le pouvoir politique est partagé par des politiciens sans scrupules, des hommes d’affaires véreux et des mafieux. Dans cette société où l’on marchande tout ou presque, les mafieux sont bien les seuls à afficher clairement leur statut. Une mafia qui se montre sans détour, amusant, et très symptomatique de l’état de cette société-là, non ? L’autre monde, est celui du ghetto black. Celui d’un peuple qui apprend à vivre (ou plutôt à survivre) en créant ses propres règles. Deux mondes, deux univers parallèles aussi impénétrables en apparence que les coffres forts de la Chase Manhattan Bank. Mais, il y a les personnages. L’auteur les aime tellement qu’il ne peut  se résoudre à les quitter (le  souvenir du médecin Cergueï Veniaminovitch et son assistante de « Fuyards » hante le personnage de Dessaignes au tout début du roman.)
Grâce à leurs âmes pures (et à la Vodka) l’émotion prend finalement le dessus et les tricheurs sont relégués dans leurs caves, comme les chats  de Art Spiegelman.
Julius Marx

(1) Je pense en particulier à la très belle scène où Smiley vient chercher quelques  précieux renseignements auprès de l’ancienne archiviste du Cirque.
Image: Le docteur Svoboda (Brian Donlevy) et une autre Mascha (Anne Lee) dans Hangmen Also Die! (Les bourreaux meurent aussi) de Fritz Lang (1943)




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