Elle me
regarda par-dessous.
-Par ici, on
ne se lance pas dans les batailles perdues d’avance quand on peut l’éviter. On
garde sa force pour ce qui est utile.
Elle laissa
filer quelques instants, avant de répéter :
-Tu ferais
mieux de me parler d’amour. Pour me faire plaisir.
Elle
semblait au bord des larmes, comme dans la voiture. La blessure entrevue sous
la brutalité volontaire de fille du peuple. Une plaie éternelle, de quoi perdre
la tête. Mais il n’y avait rien à gagner au vertige. La plupart des femmes, d’habitude,
ne pardonnaient pas à l’homme assez novice pour s’engouffrer dans l’impasse.
Elles finissaient par mépriser ce qu’elles prétendaient vouloir. Et Macha plus
qu’une autre, dans cette ville où primait la force.
Je décidai d’ignorer
les exigences de ma nouvelle amie. Je n’avais pas le choix.
-Et tu sais,
toi, pour qui travaillait l’assassin et à quoi ?
-Je te l’ai
dit tout à l’heure, ils sont venus sans dire bonjour et ont exigé un examen le
doigt pointé au plafond.
-Qui ça, « ils » ?
-Le délégué
à la sécurité de la mairie, et son adjoint.
-Je vois. Le
maire du palais.
-C’est grâce
à la mairie de Cergueï exerce toujours, qu’il peut acheter le tiers de ses
besoins en médicaments et autres.
A nouveau,
elle me contemplait d’un œil insolent. Ce petit jeu prenait des allures de
rengaine. Elle ajouta :
-Un tiers,
ça n’est pas si mal.
Je m’approchai
d’elle et lui caressai la cuisse.
-Mais tu
mens sur le confrère ce Cergueï. Tu sais qui c’est.
-Il y a
peut-être un lien véritable entre nous, dit-elle. Tu devines beaucoup de
choses, et moi, je sais tout de toi, déjà.
-Trop tôt
pour se prononcer.
-Tous
pareils. Dès que vous avez eu ce que vous voulez…
Elle s’interrompit,
secoua la tête, avant de chuchoter :
-Mais il y a
au moins ça, entre nous : le lit.
Je la
désirais encore, et plus violemment. Elle baissa la tête pour goûter à mon
silence, sans lâcher ni la proie ni l’ombre. Puis se redressa, se tourna et m’attira
en elle. Démoniaque. L’étreinte se prolongea. La ferraille lumineuse des yeux,
peut-être, chauffait à blanc.
Thierry
Marignac
Fuyards
Rivages/
Noir
Dans mon exil, j’ai enfin pu dénicher deux romans de
Thierry Marignac. Dans Renegade Boxing Club il s’agit d’opposition. Affrontement de deux
mondes, un peu comme les romans de John Le Carré, dont l’auteur, avec son
écriture soignée, son sens absolu du détail et surtout ses personnages n’est
pas si éloigné que ça, après réflexion.(1)
Le premier,
c’est le monde des « valises diplomatiques à double-fond » du
mensonge et des faux-semblants. Le pouvoir politique est partagé par des politiciens
sans scrupules, des hommes d’affaires véreux et des mafieux. Dans cette société
où l’on marchande tout ou presque, les mafieux sont bien les seuls à afficher
clairement leur statut. Une mafia qui se montre sans détour, amusant, et très
symptomatique de l’état de cette société-là, non ? L’autre monde, est
celui du ghetto black. Celui d’un peuple qui apprend à vivre (ou plutôt à
survivre) en créant ses propres règles. Deux mondes, deux univers parallèles aussi
impénétrables en apparence que les coffres forts de la Chase Manhattan Bank. Mais,
il y a les personnages. L’auteur les aime tellement qu’il ne peut se résoudre à les quitter (le souvenir du médecin Cergueï Veniaminovitch et
son assistante de « Fuyards » hante le personnage de
Dessaignes au tout début du roman.)
Grâce à leurs âmes pures (et à
la Vodka) l’émotion prend finalement le dessus et les tricheurs sont relégués dans
leurs caves, comme les chats de
Art Spiegelman.
Julius Marx
Image: Le docteur Svoboda (Brian Donlevy) et une autre Mascha (Anne Lee) dans Hangmen Also Die! (Les bourreaux meurent aussi) de Fritz Lang (1943)
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