Les blues,
les airs nègres d’Amérique reviennent ce soir à l’Afrique, après un détour de
quatre siècles. Cette mélancolie des esclaves enchaînés, louisianais ou
géorgiens, n’est pas d’ici ; le chant primitif est beaucoup plus près du
cri de guerre ou de l’incantation. Ce que semblent préférer ceux qui entourent
notre bivouac, dans l’obscurité, ce sont des airs russes, du Borodine, la chevauchée
des steppes, cette poésie d’un autre désert mais d’une liberté semblable à la
leur.
Grillons.
De temps à
autre, le maître d’hôtel nu, ou habillé d’une étroite bande de perles de verre,
se met à quatre pattes pour vérifier si les fourmis qui nous piquent ne sont
pas certaines terribles bêtes à tête carrée-auquel cas il n’y aurait qu’à leur
céder la place. Nos autos et camionnettes, phares éteints, groupées en rond comme les chariots bâchés des premiers colons
de l’Ouest américain, sont remplies de boys et de chauffeurs qui dorment déjà.
Le tam-tam s’est éloigné de nous qui ne fûmes qu’un prétexte et les
réjouissances continuent au village. Des sauterelles énormes nous arrivent
dessus comme un coup de poing. Je retrouve ici tout le charme des campings
américains : le lit pliant mal sanglé et qui s’écroule pas terre, l’iode que
l’on trouve mêlée à l’huile d’olive de la cantine, les lanternes-tempête et
leurs verres qui craquent au premier feu, la torche électrique dont la batterie
s’est vidée, les seaux de troupe en toile, qui se replient en accordéon et dont
l’eau vous coule sur les pieds, enfin le réchaud à gaz de pétrole qui prend feu
à l’intérieur, le sommeil sous le ciel, toute la vie saine des soldats, des
chemineaux, des sauvages.
Nous passons ainsi une partie de la nuit, sous une
mosaïque d’étoiles. La soif elle-même s’apaise pour quelques heures et nous
nous étendons, ensevelis comme des pharaons momifiés par une sublime
sécheresse.
Paul
Morand
Sur la route de Niafunké in Paris-Tombouctou
1928
Vidéo : Ali Farka Touré "Niafunké".
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