J’ai passé
un an devant le désert. Pour toute faune le milan, l’avion, l’étoile filante. L’ombre
du souvenir d’une boîte à sardines attire aussi parfois un chien. La chèvre,
rare mais plus savante, broute, sans véritable enthousiasme, le « fait-divers »
de quelque journal semé là par le voyageur ; parfois aussi l’éditorial ou
la réclame ; la théorie des genres lui semble indifférente.
Le chacal
dépérit nettement ; il vit de rêve et d’horizon ; cette nourriture impondérable
l’entretient nostalgique et svelte, travaillé de songes confus. Le petit âne
oriental, aux yeux intelligents, dort dans le sable, sous les étoiles. Le
buffle aux yeux lamartiniens, coiffé de cornes mélancoliques qui retombent
comme les anglaises des jeunes filles Louis-Philippe, passe parfois,
inconsolable et désolé ; le buffle est un veuf de naissance.Le dromadaire monstrueux, compliqué, grêle et déhanché, fait de morceaux qui vont mal ensemble, vient balancer son col de cygne et promener ses pattes de sauterelle sur la route de l’aérodrome avec l’oeil dégoûté et la lippe dédaigneuse d’un examinateur blasé.
Immédiatement
à côté de ça, juste de l’autre côté de
la route, c’est Le Caire, la ville moderne, les tramways, les terrasses de café
fleuries, des hommes d’aujourd’hui vêtus à l’européenne ( avec un goût plus sûr
que celui de la moyenne française), des lampadaires électriques, des fleurs,
des flamboyants et des bougainvilliers, des maisons blanches, des immeubles de
cinq étages, d’immenses avenues, des palaces, des champs de course, des
piscines, des clubs de golf. Bref, le désert de la Bible et la ville d’aujourd’hui
qui se confrontent, séparés d’un trait de crayon.
Car l’Egypte
est sans transition. Pas de crépuscule, jamais de pénombre.Alexandre Vialatte
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