Il devait
être huit heures. J’avais une heure et demie à perdre.
Je me suis dit que ce
genre d’expression aurait rendu les Cairotes pour le moins perplexes.
Une heure et
demie, c’est la durée moyenne d’un film.
Je me suis
donc confortablement installé sur un petit muret et j’ai regardé.
Le film s’appelait
la violence et la dérision. C’était une référence évidente
au roman d’Albert Cossery.
Avant de
passer à l’action, laissez-moi tout d’abord vous décrire les lieux.
Je me
trouvais sur la voie de dégagement (appelons-la comme ça) d’une des longues
artères du grand rond-point qui fait face à l’entrée principale du Zoo du quartier de Gizeh. Côté bande son, pas besoin
de vous en dire plus si je vous dis que la quantité de véhicules (deux roues,
trois roues, charrettes, quatre roues et bus) qui passent par ce rond-point est simplement hallucinante.
Ce jour-là,
le Maestro qui dirigeait le tournage était un petit policier tout de blanc
vêtu, la moustache grisonnante et le
coup de sifflet autoritaire.
L’intrigue du film était très simple : combien de
personnages allaient pouvoir attraper leur bus au passage dans un laps de temps
qui ne dépassait jamais les quatre ou cinq secondes ?
Dans ce
mouvement perpétuel, les bus ne s’arrêtent jamais. Ils ralentissent seulement
leur allure et les voyageurs doivent profiter de ce « cadeau » du
chauffeur pour tenter leur chance. Il y a ceux qui attrapent la porte
déglinguée au passage et se hissent à l’intérieur, d’autres, plus sportifs, qui
font un bond qui les propulsent dans la carlingue. D’autres encore qui trottinent et demandent de l’aide en tendant
leur main à ceux qui sont déjà à l’intérieur. Et puis, il y a les vieilles
dames avec des enfants dans les bras, ou des paquets, qui doivent faire
plusieurs essais avant de réussir leur montée. N’oublions pas les obèses qui se
lancent dans ce combat avec un handicap certain. Mais, on murmure que le gros
doit être riche et qu’il a certainement les
moyens de s’offrir un taxi.
Le Maestro
veille. Si le bus tarde trop, il ne se prive pas d’invectiver le chauffeur.
Tous les figurants doivent absolument garder le rythme, ne jamais faiblir, sous
peine d’être exclu du tournage.
La vieille
femme venait d’échouer à ses deux premiers essais. Le troisième fut encore plus
désastreux. Elle ne réussit même pas à approcher la porte. Irrité, le Maestro
lui demanda s’il elle comptait passer la journée sur ce rond-point. La vieille
femme s’approcha, lui prit le bras et lui murmura quelque chose à l’oreille
en souriant. Le Maestro se mit à rire à son tour, oubliant pour quelques
secondes ses responsabilités. Bras dessus, bras dessous, les deux se dirigèrent
vers la charrette du vendeur de thé.
Lorsque j’ai
quitté ma place, le film continuait. D’autres personnages tentaient leur chance
avec plus ou moins de réussite. Dans cette ville, personne de crie jamais «
coupez ! »
Julius Marx
Le Caire-Juin 2015
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire