On se
demande à quel moment Picasso, harcelé de visites, travaille. Il travaille en
cachette, quand vous mangez, quand vous téléphonez, quand vous dormez, quand
vos ondes distraites le laissent libre d’organiser le monde à sa guise et non à
la vôtre. Jamais il n’attrape votre perche, car il lâcherait la sienne. A une
dame qui lui demandait : « Qu’est-ce que cela représente ? »
il répondit : « Cela représente un million. » Et à une autre qui
demandait si ses œuvres étaient des farces, il répondit que « toutes les œuvres
étaient des farces, à commencer par les chefs-d’œuvre ». Les personnes ne
peuvent s’attendre à la surprise qu’un inventeur de formes leur fait ;
toute surprise se présente à la somnolence du public comme une farce, une
mauvaise farce, car elle le réveille en sursaut et l’oblige à sortir de son
propre monde où il marchait tranquille. Elle le précipite contre un mur.
En parlant d’un
poète, on ne devrait pas dire inspiration, mais expiration. Les trouvailles ne
lui viennent pas de l’extérieur, elles viennent de ses propres ténèbres qu’il
fouille, comme on fouille le sol d’Egypte. C’est pourquoi les objets qu’il
découvre paraissent souvent d’un usage incompréhensible aussi bien à ses yeux qu’aux yeux des autres.
Il serait donc mal venu de s’étonner de l’incompréhension puisqu’il arrive qu’il
ne se comprenne pas lui-même.
Jean Cocteau
Maalesh (Journal
d’une tournée de théâtre)
(Gallimard)
Photo : Picasso devant un portrait de
Françoise Gilot, photographie de Michel Sima.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire