Avec le gros
appareil à chambre sur son trépied, Brassaï, que son album Paris de Nuit vient
de faire connaître, prend en photo Armstrong et ses copains parisiens Al Brown
et Wiggins. Ils sont attablés, entre hommes, à la Coupole, devant d’énormes
plateaux de fruits de mer. Le roi du jazz, serviette autour du cou, sourit de
toutes ses dents. Trois black beauties virevoltantes
les rejoignent au dessert, Joséphine Baker, Bricktop et Alpha qui font
sensation entre les tables de la Coupole. La vedette des Folies-Bergère adresse
des petits signes aux uns et aux autres, se déhanche et sourit. Brassaï charge
une nouvelle plaque photographique dans son appareil.
-Moi, j’aime
ça que les hommes me regardent ! glousse la gazelle…Je sais que c’est glandulaire
chez eux, mais ça m’est égal !...
Alpha
regarde par en dessous son seigneur et maître.
-Toi, c’est pas
pareil, hein mon Louis ? Toi, t’es un amour, pas vrai ?
Il roule les
yeux et entame en sourdine un de ses chevaux de bataille, détachant chaque
syllabe du vieux standard… I can’t give
you anything but love, baby…du miel de rocaille dans la voix. Tout de
suite, Joséphine entremêle ses vocalises au chant rugueux. Les fourchettes des
dîneurs restent en l’air. Un vieil écrivain de la NRF, à une table voisine,
souffle à son vis-à-vis :
-Ecoutez !...
C’est la voix de la tourterelle et la voix du gorille… Ces gaillards-là sont en
train d’inventer, sans le savoir, la musique du XXe siècle !...
Michel Boujut
Souffler n’est pas
jouer
(Rivages/Noir)
Même si le
roman s’apparente plus à un traitement précis et détaillé destiné au cinéma (les
cinéphiles se souviennent de l’émission Cinéma/Cinémas) et si l’intrigue disparaît
peu à peu au profit des personnages célébrés, la lecture n’en reste pas moins savoureuse
et jubilatoire.
Photo : Brassaï
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