vendredi 11 mars 2016

Le grand désert blanc



ll semble que de nouvelles métaphores et autres allégories concernant le désert soient de plus en plus difficiles à dénicher pour le poète. C’est un peu comme la neige et son grand manteau blanc. Ce jour-là, le sable est rouge. N’y voyez aucun phénomène géologique ou météorologique. Non, c’est tout simplement les vitres de notre bus qui sont toutes recouvertes d’un film plastifié de cette couleur. Le bus flotte sur un fin lacet rectiligne où les quelques virages deviennent de salutaires distractions. Après cinq bonnes heures de tangage nous voici à Bahariya. Le moins que l’on puisse dire c’est que notre arrivée ne passe pas inaperçu. L’homme sympathique, embarqué par notre chauffeur une heure plus tôt alors qu’il patientait au bord de la route, nous présente sa carte de police et nous demande de le suivre dans une petite échoppe sombre et sale. Pendant que le gérant photocopie nos passeports, un véritable attroupement se forme autour de nous. Dans un anglais plutôt primitif les chauffeurs de taxi nous demandent tous ce que nous sommes venus faire dans ce village isolé. Nous sommes ici pour le grand désert blanc, évidemment ! Sûrement pas pour visiter la dizaine de bâtiments croulants alignés le long de la route défoncée. Un autre fonctionnaire dévoué de l’Etat nous accompagne jusqu’au campement réservé quelques jours plus tôt. Nous réveillons le gardien des lieux. Pour la chambre, aucun problème, elles sont toutes libres. Pas un chat, mais pas mal de poulets. Enfin, après une longue attente (mais le temps compte si peu lorsqu’on est si proche du grand désert…) voilà le frère du gérant. Une discussion animée s’engage sur notre excursion du lendemain. Inutile d’en relater les détails, sachez seulement que toute palabre repose inévitablement sur le fait accompli que nous sommes milliardaires. Enfin, l’affaire est conclue. Le départ est fixé pour le lendemain matin. En attendant, d’après notre hôte, il serait impensable de ne pas visiter les sources d’eau chaude qui ne se trouvent qu’à quelques centaines de mètres derrière les bâtiments de l’hôtel. Très bien, une petite marche ne peut pas nous faire de mal. Nous dérangeons notre « accompagnateur » qui s’était déjà installé sur une banquette à côté du gardien. L’homme dévoué se lève et nous emboîte le pas. Nous lui demandons s’il a pensé à prendre son maillot de bain. Pas de réponse. Nous ne restons que quelques minutes sur les lieux. Juste le temps de détailler le gros tuyau rouillé d’où jaillit une eau sale qui se jette dans un grand abreuvoir. Demi-tour.
La nuit est tombée et nous levons la tête, remplis d’espoirs, vers le ciel étoilé.  Encore une déception. J’ai personnellement vu des nuits étoilées méditerranéennes beaucoup plus explosives. J’approuve le poète, car lui sait que les étoiles ne regardent jamais en bas. Pas le temps de rêver que le gérant surgit pour nous annoncer que la petite excursion du lendemain est fortement compromise pour cause de véto de la police. Nous décidons de repartir pour le Caire. Alors, une autre discussion animée s’engage à propos de la seconde nuit d’hôtel que nous devons annuler.
Le lendemain matin, notre ange-gardien en personne nous accompagne à la station de bus. En attendant le car, nous jouons à repérer les fonctionnaires de l’Etat. On abandonne notre petit jeu en grimpant dans le bus. L’intérieur du véhicule à l’air d’avoir été ravagé par un ouragan. Qu’importe, les vitres sont blanches (enfin, presque) et nous allons enfin pouvoir jouir du spectacle sur le long chemin du retour.
 Ne vous attendez pas à de nouvelles et très subtiles métaphores.
Julius Marx 

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