A propos de
l’écriture.Voici comment fonctionne l'enchaînement logique de mes peurs: je veux écrire des histoires et des poèmes et un roman, et être la femme de Ted et la mère de nos enfants. je veux que Ted écrive comme il veut et vive où il veut, et soit mon mari et le père de nos enfants.
Nous n’arrivons pas actuellement, et peut-être n’arriverons
jamais, à gagner notre vie en écrivant, ce qui est le seul métier dont nous
voulions. Comment gagner de l’argent sans sacrifier notre temps et notre
énergie, et nuire à notre travail ?
Mais il y a pire : et si notre travail n’était pas assez bon ?
Nous essuyons des refus. N’est-ce pas la manière qu’a le monde de nous dire que
nous avons tort d’essayer d’être des écrivains. Comment être sûr qu’un travail
ardu aujourd’hui et un développement à venir nous permettront de dépasser la
médiocrité ? Et n’est-ce pas la manière dont le monde prend sa revanche
sur notre prétention ? Impossible de répondre tant que nous n’aurons pas
travaillé, écrit. Aucune garantie d’obtenir un Diplôme d’Ecrivain. Peut-être
les mères et les hommes d’affaires avaient-ils raison après tout ? Et
aurions-nous dû éviter ces questions déstabilisantes, et prendre des emplois
fixes pour assurer un bon avenir à nos gamins ?
Peut-être, si nous avons envie de passer notre vie dans l’amertume. Et de
nous dire avec regret : Quel écrivain j’aurais
pu être, si seulement…Si seulement j’avais eu le cran d’essayer, de
travailler, et d’assumer toute l’insécurité qu’impliquaient cette tentative et
ce travail.
Ecrire est un acte religieux, une manière d’ordonner, corriger,
réapprendre et réaimer les gens et le monde, tels qu’ils sont et pourraient
être. Créer une forme qui ne se perd pas, contrairement à un jour de
dactylographie ou d’enseignement. Le texte écrit reste, voyageant de son côté
dans le monde. Des gens le lisent et réagissent, comme face à une personne, une
philosophie ou une religion, ou encore une fleur : ils aiment ou non. Cela
les aide ou ne les aide pas. On a le sentiment de rendre la vie plus intense- on
donne plus, on scrute, interroge, regarde et apprend, on crée cette forme, et
on reçoit plus en retour : monstres, réponses, couleur et lignes,
connaissance. On le fait d’abord pour la chose en soi. Si cela rapporte de l’argent,
très bien. On ne le fait pas d’abord pour l’argent, on ne s’assied pas à sa
machine à écrire pour l’argent. Non qu’on le refuse. C’est vraiment le rêve
quand une profession vous assure la subsistance. Avec l’écriture, c’est très
aléatoire. Comment vivre dans une telle insécurité ? Et, bien pire, avec
de temps en temps des passages à vide, ou des pertes de foi en l’écriture
elle-même ? Comment vivre avec ça ?
Bien pire encore que tout cela, le pire absolu serait de vivre sans
écrire. La question est donc comment vivre avec le moindre mal et le minimiser.
Sylvia
Plath
Journal (Décembre 1958)
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