Le vieux cimetière avait belle allure avec ses vieilles pierres tombales usées et ses monuments rongés par le lichen, mais je me suis vite rendu compte que mon père devait se trouver dans la partie moderne avec celles datées des années quarante.
Les pierres
tombales dans la partie moderne étaient frustes et bon marché ; de temps
en temps une tombe était bordée de marbre, comme une baignoire remplie de
terre. Il y avait des bacs en métal rouillé avec des fleurs en plastique à peu
près à l’endroit où devait se trouver le nombril du cadavre.
Une fine
bruine s’est mise à tomber du ciel et je me suis sentie très déprimée.
Je ne
trouvais mon père nulle part.
Des nuages
épais et bas filaient au-dessus du bout d’horizon où s’apercevait la mer
derrière les marécages et les baraques de la plage ; des gouttes de pluie
sombre tachaient l’imper noir que j’avais acheté le matin même.
Une humidité
collante filtrait jusqu’à ma peau.
J’avais
demandé à la vendeuse :
-Est-ce que
c’est vraiment imperméable ?
Et elle m’avait
répondu :
-Non, aucun
manteau de pluie n’est vraiment imperméable, mais ils résistent à une averse.
Quand je lui
avais demandé s’il existait quelque chose de vraiment imperméable, elle m’avait
conseillé d’acheter un parapluie. Mais je n’avais pas assez d’argent pour un
parapluie. Avec les trajets aller et retour à Boston en bus, les cacahuètes,
les journaux, les livres de poche de psychopathologie et le voyage jusqu’à ma
bonne ville natale au bord de la mer, j’avais presque épuisé mes économies
new-yorkaises.
J’avais
décidé que lorsqu’il n’y ne resterait plus d’argent à la banque, je le ferais ;
et ce matin-là j’avais dépensé tout ce qui me restait en achetant cet
imperméable.
J’ai enfin
trouvé la tombe de mon père.
Elle était
cachée derrière une autre tombe, tête contre tête, comme on entasse les gens
dans les hospices quand il n’y a pas assez de place. La stèle était en marbre
rose moucheté comme du saumon en boite. Elle ne portait que le nom de mon père
et en dessous, deux dates séparées par un trait d’union.
J’ai arrangé
au pied de la tombe la brassée d’azalées trempées de pluie que j’avais arraché
sur un arbuste à l’entrée du cimetière. Mes jambes ont cédé sous moi et je me
suis retrouvée assise dans l’herbe mouillée. Je ne savais pas pourquoi, mais je
pleurais toutes les larmes de mon corps.
Je me suis
souvenue que je n’avais pas pleuré lors de la mort de mon père. Ma mère non
plus n’avait pas pleuré. Elle s’était contenté de sourire en disant que la mort
avait été sa libération, s’il avait survécu il serait devenu infirme, invalide
à vie et ça, jamais il ne l’aurait supporté, il aurait cent fois choisi la
mort.
J’ai posé
mon visage contre la douce surface de marbre et j’ai hurlé ma peine à la pluie
froide et salée.
Sylvia Plath
La Cloche de verre
Texte magnifique
de celle qui pourrait être la vraie maman de Dalva. Ces sentiments si purs
(ceux dont le père de Dava, justement, disait que sans eux nous ne serions que
des morceaux de barbaque sur un plancher) ne cessent de vous hanter.
Après avoir
lu la quasi-totalité de la correspondance de Sylvia Plath, nous ouvrons l’unique
roman écrit dans sa très courte vie pour découvrir la merveilleuse et si
poétique capacité des écrivains à se « servir » de leur propre
existence.
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