19 juin
1953. Ca y est, les gros titres claironnent la nouvelle qu’ils vont tous les
deux (les Rosenberg) être exécutés ce soir à 11 heures. Et j’en ai mal au
ventre. Je me souviens du récit fait par un journaliste de l’électrocution d’un
condamné, avec une précision à soulever le cœur, décrivant la fascination non
dissimulée sur le visage des spectateurs, et tous les détails, les données
physiques choquantes à propos de la mort- le hurlement, la fumée- un rapport nu
et honnête, sans émotion, qui prenait aux tripes par ce qu’il ne disait pas.
La grande et belle fille féline, qui portait un chapeau original pour
venir travailler tous les jours, s’est dressée sur un coude sur le divan de la
salle de conférence où elle faisait la sieste, a bâillé, et dit méchamment,
d’une belle voix ennuyée : « Je suis tellement contente qu’ils
meurent. » Elle a balayé la pièce d’un regard vague et suffisant, refermé
ses énormes yeux verts et s’est rendormie.
Les téléphones sonnent comme d’habitude, les gens font des plans pour
aller passer la longue fin de semaine à la campagne, et tout le monde est
nonchalant, plutôt content, et personne ne pense beaucoup à tout ce que
représente une vie humaine- les nerfs et les tendons et les réactions et les
réflexes qui ont mis des siècles et des siècles à se développer. Mais ils
allaient tuer des gens grâce à ces secrets atomiques. C’est bien qu’ils
meurent. Comme ça nous aurons la priorité pour tuer des gens avec ces mêmes
secrets atomiques qui sont si jalousement nôtres, si spécifiquement et
inhumainement nôtres.
Il n’y a pas de grands cris, pas d’horreur ni de révolte. C’est bien ce
qui est si terrifiant. L’exécution doit avoir lieu ce soir. Dommage qu’elle ne
puisse être retransmise à la télévision,…ce serait bien plus réaliste et
profitable que le téléfilm policier courant. Deux personnes réelles qu’on
exécute. Aucune importance. La réaction émotionnelle la plus répandue aux
Etats-Unis sera un grand bâillement démocratique, complaisant et banal,
exprimant un ennui infini.
Sylvia Plath
Journal-1953.
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