jeudi 19 janvier 2017

Un grand bâillement démocratique



19 juin 1953. Ca y est, les gros titres claironnent la nouvelle qu’ils vont tous les deux (les Rosenberg) être exécutés ce soir à 11 heures. Et j’en ai mal au ventre. Je me souviens du récit fait par un journaliste de l’électrocution d’un condamné, avec une précision à soulever le cœur, décrivant la fascination non dissimulée sur le visage des spectateurs, et tous les détails, les données physiques choquantes à propos de la mort- le hurlement, la fumée- un rapport nu et honnête, sans émotion, qui prenait aux tripes par ce qu’il ne disait pas.
La grande et belle fille féline, qui portait un chapeau original pour venir travailler tous les jours, s’est dressée sur un coude sur le divan de la salle de conférence où elle faisait la sieste, a bâillé, et dit méchamment, d’une belle voix ennuyée : « Je suis tellement contente qu’ils meurent. » Elle a balayé la pièce d’un regard vague et suffisant, refermé ses énormes yeux verts et s’est rendormie.
Les téléphones sonnent comme d’habitude, les gens font des plans pour aller passer la longue fin de semaine à la campagne, et tout le monde est nonchalant, plutôt content, et personne ne pense beaucoup à tout ce que représente une vie humaine- les nerfs et les tendons et les réactions et les réflexes qui ont mis des siècles et des siècles à se développer. Mais ils allaient tuer des gens grâce à ces secrets atomiques. C’est bien qu’ils meurent. Comme ça nous aurons la priorité pour tuer des gens avec ces mêmes secrets atomiques qui sont si jalousement nôtres, si spécifiquement et inhumainement nôtres.

Il n’y a pas de grands cris, pas d’horreur ni de révolte. C’est bien ce qui est si terrifiant. L’exécution doit avoir lieu ce soir. Dommage qu’elle ne puisse être retransmise à la télévision,…ce serait bien plus réaliste et profitable que le téléfilm policier courant. Deux personnes réelles qu’on exécute. Aucune importance. La réaction émotionnelle la plus répandue aux Etats-Unis sera un grand bâillement démocratique, complaisant et banal, exprimant un ennui infini.

Sylvia Plath
Journal-1953.

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