vendredi 20 mars 2020

Confinement (4)


                                              Ce que je peux faire

Tout ce que je veux aujourd'hui c'est garder l'œil sur les oiseaux
devant ma fenêtre. Le téléphone est débranché,
moyennant quoi mes proches ne peuvent pas tendre le bras et me mettre
le grappin dessus. Je leur ai dit que le puit était à sec.
Ils font les sourds. Ils cherchent encore
à parvenir à leurs fins. En ce moment, je ne veux rien savoir
de la voiture qui a grillé son joint de culasse.
Ou de la caravane que je pensai avoir payée depuis belle lurette,
et qui a été saisie. Ou du fils en Italie
qui menace de mettre un terme à ses jours
si je ne continue pas à régler les factures. Ma mère aussi
veut me parler. Elle veut me rappeler une fois de plus comment c'était
en ce temps-là. Tout le lait que je buvais, bercé dans ses bras.
Ca devrait valoir quelque chose en retour. Elle a besoin
que je paie son nouveau déménagement. Elle aimerait
retourner à Sacramento pour la vingtième fois.
La chance est au Sud. Tout ce que je demande
c'est qu'on me laisse m'asseoir encore un peu.
Soigner la morsure que le Keeper m'a faite hier soir.
Et observer les oiseaux. Qui ne demandent rien, eux,
qu'un rayon de soleil. Dans une minute
je vais devoir brancher le téléphone et tenter de distinguer
le vrai du faux. Entretemps,
une douzaine de petits oiseaux, pas plus gros que des tasses à thé,
sont perchés dans les branches devant la fenêtre.
Soudain ils cessent de chanter et tournent la tête.
A l'évidence ils ont senti quelque chose.
Ils plongent dans le ciel.

Raymond Carver
Ultramarine

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