dimanche 8 mars 2020

La fondamentale joliesse



Assise encore une fois dans son bureau de négociant en coton de Memphis, Ione 

Gamble créa, grâce à son silence et son crayon seulement, une tension si palpable que 

Howard Mott crut pouvoir un instant la goûter et la toucher. Il lui suffirait, 

soupçonnait-il, d’augmenter la tension ne serait-ce qu’un peu pour que celle-ci prenne 

le goût de l’électricité et donne alors la sensation que doit donner une menace de mort.

Il jugea que l’interprétation de Gamble était superbe et se demanda quels morceaux et 

éléments il finirait par en voler ou emprunter pour son usage personnel dans de futures 

apparitions devant la cour. Mott admira spécialement la manière dont elle avait 

contribué à mettre en place la scène en réduisant ses épais cheveux châtains à un 

chignon de vieille fille et en décapant son visage de tout maquillage pour en souligner 

le caractère remarquable et en minimiser la fondamentale joliesse.Toutefois, le quota 

de joliesse était amplement fourni par la nudité manifeste de ses seins sous la chemise 

de polo blanche.

Et enfin il y avait le crayon-long, jaune et récemment taillé- qu’elle examinait depuis 

près de trois minutes silencieuses, le pointant,de-ci, de-là, mais s’assurant que la pointe 

revenait toujours à sa position de départ, comme une aiguille aimantée, et se braquait 

droit sur la gorge de Howard Mott.

Ross Thomas

Voodoo,Ltd
Traduction Jean-Patrick Manchette

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