jeudi 9 février 2012

Apartheid


Quel phénomène inconnu, quelle anormalité, quel processus dynamique, nous pousse à classer invariablement nos romans noirs sur une étagère différente des autres bouquins?
Est-ce  des titres comme : Embûche de Noël , Sois belle et tue-toi, La rousse rafle tout, Les enfants du père Eddy, Une collection de timbrés, La chatte sur un toit glissant , Du sang dans les voiles, La ribouldingue, qui nous embarrassent?
Est-ce les couvertures sexy réservées aux vrais mâles qui lisent ces romans, aux machos poilus, fervents consommateurs d'après-rasage musqués, qui nous embarrassent encore plus?
Est-ce une culpabilité latente  qui commande notre geste, une névrose obsessionnelle ?
Oui, je sais, il est préférable de répondre par l'affirmative à la maîtresse de votre fils que vous avez invité pour la première fois à dîner et qui vous demande entre le rôti et le tiramisu en fixant votre bibliothèque :  "... vous avez lu  Belles du  Seigneur?"
Nous savons tous que cette charmante employée de l'éducation nationale ne se hasarderait jamais à poser la même question à propos de  Si jamais tu m'entubes ou Pas d'ortolans pour la Cloducque de l'immense Pierre Siniac.
Alors, peut-on parler d'une certaine honte?
Pourtant quel plaisir de se glisser au lit avec un Westlake que l'on a pas encore dévoré, un Himes inédit!
Il est certain que se glisser au lit avec la jeune personne sus-nommée est une autre forme de plaisir, mais, ceci est une autre histoire.
Je sais aussi qu'un bon nombre de lecteurs assidus de Noirs (je l'ai  souvent constaté en attendant la crème brûlée ou la tarte aux pommes) ont rangé les oeuvres de Chandler ou Hammett  (en éditions de luxe) à côté de Hem ou Dos Passos.
Est-ce  un premier pas vers l'émancipation totale des romans violents et réalistes? L'avenir nous le dira.
En attendant, et dans le soucis de libérer  l'espace, je propose de descendre illico à la cave des auteurs comme Daphné Du Maurier, Agatha Christie, les romans psychotiques suédois et norvégiens, la biographie de Patrick Bruel  et J'attend un enfant de Laurence Pernoud. Alors, vous voyez bien qu'il reste encore de la place!



Et puis, la prochaine fois que la demoiselle vient dîner chez vous et qu'elle vous demande, entre la choucroute et la mousse aux deux chocolats : "La reine des pommes, qu'est-ce que c'est, un livre de cuisine?" vous aurez le droit et le devoir de lui répondre "attends, je vais t'expliquer" avant de passer dans la chambre, mais ceci est une autre histoire.
Julius Marx

1 commentaire:

  1. Chez l'homme rationnel et n'ayant qu'un corridor pour ranger ses romans, ce dernier les classe en ordre alphabétique. Et c'est bien aussi, je trouve.

    "Pourtant quel plaisir de se glisser au lit avec un Westlake que l'on a pas encore dévoré"

    Entièrement d'accord, je suis en pleine lecture de "Monstre sacré" et je surveille ceci http://livre.fnac.com/a3780730/Donald-E-Westlake-Memoire-morte

    Attachons nos ceintures

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