mercredi 15 février 2012

Métaphore(s)


L'atmosphère d'une pièce peut changer, subir des transformations les plus imprévues en l'espace de quelques heures, quelques minutes. Tout comme une rade, soumise aux humeurs des vents instables, mais fidèles à ces lieux, voit d'heure en heure, de minute en minute, changer la couleur des vagues, et la mer, qui la léchait peu de temps auparavant, limpide et bleue, se transformer en une foule de serpents verts vénéneux, gonflés de colère et qui soufflent ; puis elle voit ces mêmes serpents se coucher, se calmer,cacher leurs têtes fines dans un vaste tapis d'or ( effet naturel et pourtant magique des rayons qui tombent obliquement des nuages bas) si bien que la plage, encore humiliée par les coups de fouet et par l'horreur récente, se couche elle aussi, dans une paix trouble; et, entre temps, les rochers qui l'environnent ont acquis la majesté aérienne des nuages et peut-être des remparts de châteaux prodigieux ; et enfin, continuellement, la mer, soulevée et animée par le vent, changeant de couleur et de voix, compose et décompose des images très différentes, dans lesquelles la rade tantôt s'élargit, tantôt se resserre, s'écroule, s'élève, se dissipe et reparaît ; et c'est chaque fois un lieu toujours nouveau, tout comme peuvent l'être, à la suite de quelque chose de léger et d'agité, le bonheur, la douleur, ou la simple espérance et le chagrin.
Anna Maria Ortese
(Les Ombra) Actes-Sud




Le gendarme qui venait de prendre sa faction au carrefour le plus distingué de la ville eut soudain l'impression d'être la victime d'un mirage. Il sortit alors de sa poche un mouchoir à carreaux rouges et blancs, fait d'une étoffe grossière  et aussi sale qu'un torchon, et s'épongea le visage avec énergie. Ayant ainsi éclairci (pour un bref moment) sa vision du monde, il reporta son regard en direction du mirage et il en résulta pour lui un choc. Car ce qu'il voyait -à mesure que les éléments du mirage se précisaient à sa vue- c'était un mendiant, le plus beau qu'il eût aperçu depuis longtemps, confortablement installé à l'angle d'un immeuble cossu, de construction récente. Pour comble, cet immeuble abritait une banque et une joaillerie, c'est à dire deux aspects d'une métaphysique universelle qui exigeaient qu'on les protégeât sans délai de la canaille. Remettant le mouchoir dans sa poche , et clignant toujours des yeux pour ne pas le bénéfice de sa nouvelle vision, le gendarme chargea droit sur l'impudent, mû par des instincts homicides. Depuis un mois, les ordres étaient formels : il fallait débarrasser la ville de cette maudite engeance qui proliférait dans les artères les plus respectables comme des fourmis sur un gâteau de miel.
L'ambition du nouveau gouverneur était d'assainir les rues et de les préserver  de tout ce qui pouvait entacher leur honneur; il parlait des rues comme de personnes morales. Aussi, après les prostituées , les vendeurs aux terrasses des cafés, les ramasseurs de mégots et autres coquins de moindre importance, il s'était attaqué aux mendiants, cette race pacifique mais si fortement enraciné dans le sol, qu'aucun conquérant  avant lui n'avait réussi à exterminer. C'était comme s'il eût voulu débarrasser le désert de son sable.
Albert Cossery ( La violence et la dérision)
Ed Joelle Losfeld

L'humiliation, l'horreur récente. Et puis, un monde "qui change de couleur".
L'espérance finit par devenir chagrin.
Un nouveau gouverneur qui interdit, bref qui gouverne...
Heureusement, tout ceci n'est que fiction.
Julius Marx 

1 commentaire:

  1. J'aime bien la photo. c'est extrait des Monstres de Risi, que j'ai revu il y a quelques temps. Gassman et Tognazzi y sont exceptionnels. Par exemple le télespectateur hypnotisé devant son écran (Tognazzi) pendant que sa femme reçoit son amant ; ou Gassman confisquant les derniers sous de sa famille nombreuse dans un bidonville pour aller voir un match de foot. Tordant, et actuel. Sur celle-ci les deux flics viennent d'arrêter un dangereux forcené : où sont les monstres ?

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