"J'aime lire allongée sur un canapé, mais ceci n'est pas une profession, hélas." Fran Lebowitz
mardi 13 novembre 2012
La république des femmes
J'ai souvent eu l'occasion de vous parler de nos taxis collectifs, ces camionnettes où neuf passagers (parfois un ou deux de plus au mépris de la loi) s'entassent pour parcourir la dizaine de kilomètres qui nous sépare de la grande ville. N'y voyez aucune obsession de ma part mais, notre histoire débute une fois de plus dans un de ces taxis.
Lorsque nous pénétrons à l'intérieur de l'habitacle ce matin-là, nous comprenons immédiatement que l'ambiance est chaude , pour ne pas dire brûlante. Le verbe est haut; il atteint même des sommets! Entre deux cris, nous comprenons que les deux seules femmes s'opposent au cinq hommes. Je tente de me glisser entre une des ces femmes, ses deux paniers remplis de légumes et un homme plaqué contre la vitre, un sourire sarcastique accroché sur ses lèvres.
Ma voisine argumente... Les postillons sont éjectés de sa bouche aussi vite que ses idées. Le petit vieux assis devant nous tente une réponse... Elle l'envoie au tapis en grimpant de trois octaves.. le vieux bredouille, baisse la tête. Un autre, à peine plus jeune, s'interpose... Il est liquidé en deux temps, trois mouvements.
C'est au tour du chauffeur, souriant, de lancer une bonne blague. Les deux mégères rugissent... le taxi fait une embardée.
Nous tentons de comprendre l'ordre du jour de cette assemblée du peuple. Mais, je dois d'abord résoudre un autre problème ; ma voisine m'écrase de tout son poids et puis, mon oreille gauche donne quelques des signes de faiblesse. Un bourdonnement sourd couvre celui du moteur. Je ressens aussi des fourmillements dans mon bras gauche, celui qui s'est retrouvé sous les paniers de légumes.
Il est question de religion, bien entendu. Manifestement, nos oratrices, totalement opposées aux préceptes de Marx, réfutent en bloc les arguments du penseur. Et puis, nous avons droit à un tour d'horizon de politique internationale, comme on dit dans le journal télévisé. L'Amérique du grand Satan, les étrangers responsables de l'écroulement des valeurs enseignées par le prophète....
Courageusement, et sans se départir de son sourire, mon voisin balance :
-Vive la révolution et le Ché !
C'est la pagaille générale, et pas de président pour balancer des coups de marteau sur son pupitre.
Lorsque nous sortons du taxi, nous sommes groggy. Mon bras gauche est mort au combat.
L'après-midi, nous avons droit à une deuxième séance à la chambre. Dans l'unique laverie automatique qui fonctionne encore dans la ville, la patronne nous parle de cette jeune tunisoise violée par les flics. De son point de vue, une fille qui se livre au regard des hommes ne peut être qu'une traînée qui ne vaut pas plus qu'une chienne. Nous tentons de fourrer le linge dans le sac le plus vite possible pour ne pas entendre la fin du discours mais, peine perdue. Le fameux "elle l'a bien cherché" , si courant dans nos contrées, vient parachever le sermon. A côté d'elle, Marine c'est Gandhi !
Sur le chemin du retour (nous avons décidé de rentrer à pied) ma compagne me parle de Georges Sand, dans un premier temps opposée au droit de vote des femmes, estimant qu'elles étaient trop ignorantes...
Que penserai la fille de mon propriétaire (qui vient de se voiler totalement) d'une femme se faisant appeler Georges?
Je ne sais pas... je ne sais plus.
Julius Marx
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